Même les analystes politiques les plus optimistes ne s’attendaient pas à ce que le procureur général de la Cour pénale internationale prononce ces mots :
« J’ai des motifs raisonnables de croire que Benjamin Netanyahu (…) et Yoav Gallant (…) portent la responsabilité pénale de (…) crimes de guerre et crimes contre l’humanité… »
Outre les deux Israéliens, Karim Khan a inclus trois Palestiniens dans sa requête demandant des mandats d'arrêt de la Chambre préliminaire de la CPI. C’est important, mais nous devons nous rappeler que, selon la pensée occidentale, les Palestiniens ont toujours été les coupables.
La preuve de cette affirmation est que l’Occident a longtemps présenté Israël comme un pays en guerre pour se défendre. Par conséquent, les Palestiniens – bien qu’occupés, dépossédés et déshérités – sont les agresseurs.
Cette logique bizarre n’est pas étrange si on la situe dans le paradigme d’une puissance plus large qui a défini la relation de l’Occident avec la Palestine et, par extension, avec le Sud global.
Par exemple, sur 54 personnes inculpées par la CPI depuis sa création en 2002, 47 sont des Africains, un fait qui agite à juste titre les gouvernements, les sociétés civiles et les intellectuels du Sud depuis de nombreuses années.
Sur la duplicité occidentale, Aimé Césaire, intellectuel et homme politique martiniquais, écrivait : « ils ont toléré (..) le nazisme avant qu'il ne leur soit infligé, ils l'ont absous, fermé les yeux, l'ont légitimé, parce que, jusque-là, il l'avait n’a été appliquée qu’aux peuples non européens ».
La Seconde Guerre mondiale a inspiré une nouvelle réflexion de la part de l’Occident. La Cour internationale de Justice (CIJ), la CPI, entre autres, ont été le résultat direct de cette terrible guerre occidentale. C'était une manière pour l'Occident d'essayer de protéger le nouveau statu quo établi par les vainqueurs.
Les pays du Sud s’y sont quand même joints. “L'Afrique avait un intérêt particulier dans la création de la Cour, car ses peuples ont été victimes de violations à grande échelle des droits de l'homme au cours des siècles”, a déclaré un représentant de l'Organisation de l'unité africaine à Rome, lieu de naissance de la Cour. Statut, en 1998.
Cependant, comme on pouvait s’y attendre, la CPI s’est transformée en une plateforme où les anciens maîtres coloniaux portaient un jugement sur le monde non européen. En ce sens, la justice n’a guère été rendue.
Comme toujours, la Palestine a servi et continue de servir de test décisif pour l’ordre international. Depuis plus de 15 ans, les Palestiniens cherchent à obtenir l'aide de la CPI pour tenir Israël responsable de son occupation militaire et de divers crimes en Palestine.
Les Palestiniens l’ont fait simplement parce que toute tentative d’établir un mécanisme pratique pour mettre fin à l’occupation israélienne par le biais des Nations Unies s’est heurtée au cruel veto américain.
Alors que l’occupation israélienne est devenue permanente et que l’apartheid racial a étendu ses tentacules pour couvrir chaque centimètre carré de la Palestine, le soutien des États-Unis à Israël est devenu la première ligne de défense contre toute critique internationale, et encore moins contre toute action visant à maîtriser Israël. .
Même si les États-Unis ont refusé de rejoindre la CPI, ils exercent toujours une grande influence sur l’organisation, que ce soit par le biais de sanctions ou de pressions imposées par leurs alliés membres de la Cour.
Ainsi, la CPI a tergiversé. Des décisions qui n’auraient dû prendre que quelques mois ont pris des années. L’institution, créée pour rendre une justice rapide, est devenue un appareil juridique bureaucratique qui a fait tout ce qui était en son pouvoir pour échapper à ses responsabilités envers les Palestiniens.
La persévérance des Palestiniens et la solidarité massive qu’ils ont obtenue de la part des pays du Sud ont fini par porter leurs fruits.
En 2009, les Palestiniens ont déposé leur première demande d'adhésion à la CPI. Pourtant, il a fallu plus de trois ans avant que le procureur Luis Moreno Ocampo de l’époque prenne sa décision, en 2012, refusant aux Palestiniens une adhésion aussi urgente en raison de leur statut juridique de simples observateurs à l’ONU.
Le reste du monde s'est à nouveau rallié à la Palestine et, plus tard cette année-là, l'Assemblée générale des Nations Unies a accordé à la Palestine son statut d'« État observateur non membre ».
Il a fallu encore trois ans pour que la Palestine rejoigne officiellement la CPI. Quatre ans plus tard, en 2019, Fatou Bensouda, alors procureure, a déclaré que les critères dits statutaires nécessaires pour ouvrir une enquête en Palestine étaient remplis. Mais au lieu d’ouvrir une enquête, Bensouda a renvoyé l’affaire devant la Chambre préliminaire pour confirmation.
Une enquête officielle n’a été ouverte qu’en mars 2021, mais a été interrompue lorsque Karim Khan a remplacé Bensouda au poste de procureur en chef plus tard dans l’année.
Alors, que s’est-il passé entre mars 2021 et le 20 mai 2024 qui a permis au toujours réticent Khan d’aller jusqu’à demander des mandats d’arrêt ?
Tout d’abord, le génocide israélien à Gaza, où les victimes se comptent en dizaines de milliers.
Deuxièmement, la crédibilité du système juridique consacré par l’Occident et qui régit le monde depuis la Seconde Guerre mondiale était en jeu. C’est ce qui explique l’accent mis par Khan dans sa déclaration du 20 mai : « Si nous ne démontrons pas notre volonté d’appliquer la loi de manière égale (…) nous créerons les conditions de son effondrement. »
Troisièmement, la solidarité du Sud global, qui a servi d’épine dorsale à tous les efforts palestiniens auprès des institutions juridiques internationales.
Après des décennies d’approche unilatérale des conflits mondiaux, la balance est enfin en train de changer. En effet, lorsque nous disons que Gaza change le monde, nous le pensons sincèrement.
Source: https://www.counterpunch.org/2024/05/31/the-untold-icc-story/