Cet article a été publié à l'origine dans Jacobin le 5 septembre 2024. Il est partagé ici avec autorisation.
La récente révocation du statut d'organisme de bienfaisance du Fonds national juif (FNJ) pourrait bien être la plus importante victoire de solidarité avec la Palestine de l'histoire du Canada. Cette victoire populaire renforce la campagne mondiale Stop the JNF et les efforts visant à perturber l'aide caritative canadienne à Israël.
Le 10 août, le gouvernement fédéral a officiellement révoqué le statut d'organisme de bienfaisance d'une organisation qui a organisé des événements auxquels ont participé de nombreux premiers ministres, ministres et sénateurs. Quelques jours avant la révocation, l'ancien premier ministre Stephen Harper était la tête d'affiche des collectes de fonds du JNF à Windsor et à London, en Ontario. Les galas de l'organisation, organisés dans tout le pays, attirent chaque année des milliers de personnes aisées et connectées. Depuis 2003, JNF Canada a établi des partenariats avec des gouvernements provinciaux et a recueilli plus d'un quart de milliard de dollars canadiens.
Après avoir fait subventionner pendant cinquante-sept ans par tous les Canadiens ses activités controversées, notamment son soutien aux colonies de Cisjordanie et à l'armée israélienne, l'Agence du revenu du Canada (ARC) a finalement révoqué la capacité du FNJ à délivrer des reçus fiscaux à ses donateurs, qui couvrent souvent la moitié (ou plus) de tous les dons reçus. L'organisation a maintenant un an pour mettre fin à ses activités caritatives et se débarrasser de ses 30 millions de dollars d'actifs.
Parcs sur des villages démolis
Dans sa lettre expliquant la révocation, l'ARC souligne une série de problèmes liés aux activités du JNF. En plus d'une multitude de problèmes comptables, l'agence reproche à JNF Canada d'avoir aidé son organisation mère discriminatoire en Israël. La lettre de l'ARC indique :
Notre examen a révélé que les ressources de l'organisation semblent avoir été utilisées pour des projets non caritatifs du FNJ dans les territoires occupés et pour soutenir les forces armées israéliennes, et non pour des activités favorisant ses objectifs caritatifs. Nous sommes d'avis que l'organisation a agi comme un canal pour le FNJ [Israel]un donataire non qualifié, en contravention de la Loi.
Cette révocation est le point culminant de décennies de manifestations lors des galas du KKL, d’innombrables campagnes de courrier électronique, d’efforts de sensibilisation intensifs et de plaintes officielles auprès de la CRA au sujet du KKL. La campagne a véritablement commencé en 1978, lorsqu’Ismail Zayid a découvert que Canada Park avait été construit sur le village d’où lui et sa famille avaient été expulsés. Le KKL Canada a collecté 15 millions de dollars (l’équivalent de 120 millions de dollars d’aujourd’hui) pour construire Canada Park sur trois villages de Cisjordanie – Beit Nuba, Imwas et Yalu – qui ont été démolis par Israël après la guerre de 1967. Malgré des tentatives répétées de retour chez eux, les cinq mille Palestiniens expulsés n’ont pas été autorisés à revenir. En 1986, un comité spécial de l’ONU a fait rapport au secrétaire général :
[We] Nous considérons comme profondément préoccupant que ces villageois se voient constamment refuser le droit de retourner sur leurs terres, sur lesquelles le Parc Canada a été construit par le FNJ Canada et où les autorités israéliennes envisageraient de planter une forêt au lieu de permettre la reconstruction des villages détruits.
Le JNF Canada, qui a ensuite récolté des millions de dollars pour rénover le parc, a remplacé la plupart des traces de l'histoire palestinienne par des panneaux dédiés à des donateurs canadiens tels que le service de police du Toronto métropolitain, la ville d'Ottawa et l'ancien premier ministre de l'Ontario Bill Davis. La promenade Diefenbaker, dédiée à l'ancien premier ministre John Diefenbaker, a ouvert en 1975, traversant Canada Park.
L'ARC cite Canada Park, qu'elle qualifie de « projet phare de l'organisation », comme l'une des principales raisons de la révocation du statut d'organisme de bienfaisance du KKL. La lettre de révocation mentionne également sept autres projets financés par l'organisme de bienfaisance sur des terres considérées comme illégalement occupées par le gouvernement canadien. De plus, l'ARC détaille neuf initiatives du KKL Canada qui soutiennent une armée étrangère, ce qui contrevient aux règles relatives aux organismes de bienfaisance enregistrés.
Financer les expulsions, une expulsion à la fois
Fondé en 1910, le FNJ Canada a joué un rôle dans un important conflit foncier pré-étatique. À la fin des années 1920, le FNJ Canada a contribué à réunir 1 million de dollars (l’équivalent de 17 millions de dollars d’aujourd’hui) pour acquérir la région de Wadi al-Hawarith, une étendue de territoire côtier de trente mille dunams (environ soixante-quinze cents acres) située à mi-chemin entre Haïfa et Tel-Aviv. Cette terre abritait une communauté bédouine de plus d’un millier de personnes. Sans consulter les Palestiniens vivant sur cette terre, le FNJ a acquis le titre de propriété légal de Wadi al-Hawarith auprès d’un propriétaire absent en France.
Pendant quatre ans, les habitants de Wadi al-Hawarith ont résisté aux tentatives des Britanniques de les expulser. L'historien Walid Khalidi explique :
La volonté des habitants de Wadi al-Hawarith de rester sur leurs terres était motivée par leur conviction que la terre leur appartenait en vertu du fait qu'ils y vivaient depuis 350 ans. Pour eux, la propriété de la terre était une abstraction qui se résumait tout au plus au droit des propriétaires à une part de la récolte.
Le conflit de Wadi al-Hawarith devint un élément déclencheur du mouvement nationaliste palestinien en plein essor. En 1933, une grève générale fut organisée à Naplouse pour soutenir les locataires de Wadi al-Hawarith. Les Palestiniens, en particulier ceux qui n'avaient pas de titre de propriété, étaient mécontents de l'afflux d'Européens dans leur pays.
Fondé en 1901 pour acquérir des terres en Palestine historique en vue d'une implantation juive exclusive, le FNJ, avec l'Organisation sioniste mondiale et l'Agence juive, est une institution clé du sionisme. Au moment de la création d'Israël, le FNJ avait acquis neuf cent mille dunams de terres palestiniennes et plus tard « acheté » plus de deux millions de dunams supplémentaires de terres d'absentéisme à l'État après que plus de sept cent mille Palestiniens eurent été ethniquement nettoyés en 1947-48.
Aujourd’hui, le FNJ possède 13 % des terres du pays et exerce une influence considérable sur la plupart des autres. En raison de l’exclusion systématique des citoyens palestiniens d’Israël de la location de ses propriétés, un rapport de l’ONU de 1998 a conclu que les terres du FNJ étaient « réservées exclusivement aux Juifs », ce qui a conduit à une « forme institutionnalisée de discrimination ». Des conclusions similaires ont été tirées par la Cour suprême d’Israël en 2005 et un rapport du Département d’État américain de 2012 a fait état d’une « discrimination institutionnelle et sociétale » en Israël en raison des statuts du FNJ, qui « interdisent la vente ou la location de terres à des non-Juifs ».
Au début des années 1980, le JNF Canada a contribué au financement d’une campagne du gouvernement israélien visant à « judaïser » la Galilée, région majoritairement arabe du nord d’Israël. Khateeb Raja, maire de Deir Hanna, une ville palestinienne-israélienne de Galilée, a déclaré à l’agence de presse israélienne Globe and Mail En 1981, un journal local annonçait que « le gouvernement construit des colonies juives sur nos terres, nous encercle et transforme nos villages en ghettos ». Ishi Mimon, un habitant de Galilée, a déclaré au journal qu’il prévoyait de déménager sa famille dans la nouvelle région de « Galil Canada » parce que « la Galilée devrait avoir une majorité juive ».
Le représentant du JNF Canada en Israël, Akiva Einis, a décrit l'objectif politique de Galil Canada : « Le gouvernement a décidé de mettre un terme au pillage massif (par les Arabes israéliens) des terres de l'État. [conquered in the 1947/48 war]« Les colonies sont toutes situées au sommet des montagnes et dominent de vastes étendues de terre. Si un squatter arabe utilise une charrue sur une terre qui n’est pas la sienne, les colons déposent une plainte auprès de la police. »
Le JNF Canada a dépensé des dizaines de millions de dollars, dans le but de récolter 35 millions de dollars, pour quatorze colonies juives en Galilée, au Canada. Dans la vallée contestée de Lotem, un mur de pierre et un monument ont été érigés, a rapporté le Globeavec « des centaines de petites plaques gravées avec les noms et les villes natales des Canadiens qui ont contribué financièrement aux colonies de Galilée ». La plupart des donateurs à Galil Canada étaient juifs, « mais une congrégation pentecôtiste de Vancouver, le Glad Tidings Temple, a donné 1 million de dollars ».
Tawfiz Daggash, maire adjoint de Deir Hanna, a dénoncé le soutien financier canadien aux colonies Globe« Je veux dire aux Canadiens que chaque dollar qu’ils contribuent [to JNF] aide le gouvernement israélien dans sa tentative de détruire le peuple arabe ici.
Des révocations mondiales se profilent à l'horizon
La décision de l'ARC de révoquer le statut d'organisme de bienfaisance du JNF a déjà dynamisé la campagne mondiale Stop the JNF. Le Centre international pour la justice pour les Palestiniens, un groupe de défense juridique basé au Royaume-Uni, a cité la décision du Canada dans une lettre récente exhortant le procureur général du Royaume-Uni à révoquer le statut d'organisme de bienfaisance de la branche britannique du JNF. Avec des sections dans une cinquantaine de pays, le JNF collecte environ un quart de milliard de dollars par an en dons subventionnés. La perte du statut d'organisme de bienfaisance dans ces pays réduirait considérablement les ressources dont dispose l'organisation mère pour poursuivre ses politiques coloniales discriminatoires.
Bien que la révocation du KKL marque une victoire pour ceux qui s'opposent au rôle du Canada dans la dépossession palestinienne, des centaines d'autres organismes de bienfaisance enregistrés collectent plus d'un quart de milliard de dollars par an pour des projets en Israël, dont beaucoup violent les règles existantes de l'ARC.
Le jour même où la perte du statut d'organisme de bienfaisance du KKL a été officialisée, Gazette du Canada La Fondation Ne'eman a également annoncé la révocation du statut d'organisme de bienfaisance de la Fondation Ne'eman. En collectant 7,3 millions de dollars en 2022, la Fondation Ne'eman aide les colonies de Cisjordanie et l'armée israélienne.
Des plaintes officielles ont également été déposées auprès de l’ARC concernant une douzaine d’autres organismes de bienfaisance axés sur Israël, notamment l’Association culturelle sioniste canadienne, la Fondation du patrimoine juif du Canada, Mizrachi Canada et la Fondation HESEG.
Ces derniers mois, les organismes de bienfaisance axés sur Israël ont fait l’objet d’un activisme important. En juin, des personnalités publiques comme Gabor Maté, Yann Martel, Linda McQuaig, Roger Waters, Monia Mazigh, Desmond Cole, Libby Davies et d’autres ont signé la lettre publique « Arrêtez de subventionner le génocide ». La lettre souligne que « plus de 200 organismes de bienfaisance canadiens enregistrés versent un quart de milliard de dollars par an à des projets en Israël. Bon nombre de ces groupes financent des projets qui soutiennent l’armée israélienne, des organisations racistes et des colonies de Cisjordanie, en violation des règles de l’Agence du revenu du Canada. »
La porte-parole du Nouveau Parti démocratique en matière de revenu, Niki Ashton, a également interpellé le gouvernement sur cette question. Le 13 juin, elle a tenu une conférence de presse à la tribune de la presse parlementaire, demandant « au gouvernement libéral d’enquêter sur les organismes de bienfaisance canadiens qui auraient détourné l’argent des contribuables pour soutenir les opérations militaires israéliennes et les colonies illégales en Palestine ». Mme Ashton a également parrainé une pétition parlementaire sur le sujet et a envoyé une lettre à la ministre du Revenu, Marie-Claude Bibeau, pour exiger une enquête sur le financement de ces organismes de bienfaisance. Dans un récent article sur le sujet, Mme Ashton a écrit : « Pas un seul cent de l’argent des contribuables canadiens ne devrait servir à financer un génocide. »
À l’occasion de la Journée internationale de la charité, le 5 septembre, Just Peace Advocates, l’Institut canadien de politique étrangère et d’autres organisations organisent une journée d’action dans les bureaux de l’ARC partout au pays, demandant à l’Agence du revenu du Canada de cesser de subventionner le génocide.
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Source: https://therealnews.com/canada-is-ending-jewish-national-funds-charitable-status