Photo de Felipe Pérez Lamana

Rares sont ceux qui, dans la gauche européenne, ne connaissent pas l’activisme politique inébranlable de Sevim Dagdelen et ses critiques virulentes du militarisme, de l’OTAN et des politiques interventionnistes occidentales. En tant que membre de longue date du Bundestag allemand et militant dévoué, Dagdelen défend depuis plus d’une décennie l’anti-impérialisme, la justice sociale ainsi que la protection des droits de l’homme et de la souveraineté nationale. La publication de son livre OTAN : bilan avec l’Alliance atlantique (LeftWord Books, juillet 2024) semble, à première vue, comme une extension naturelle de son travail politique. Cependant, ce livre relativement concis livre quelque chose que de nombreux chercheurs et universitaires ne peuvent ou ne veulent pas faire : Dagdelen se débarrasse de tout semblant de retenue et déconstruit avec audace la mythologie qui entoure l’OTAN depuis 75 ans. En effet, l'image publique de l'OTAN a évolué vers une sorte d'idéologie laïque, non seulement dans ses États membres mais plus encore dans les pays candidats à la périphérie de l'Europe.

Les défenseurs de l’OTAN ont élaboré un récit orwellien, présentant deux positions apparemment inconciliables : l’OTAN est la force militaire (et nucléaire) la plus puissante de l’histoire de l’humanité, mais en même temps une force pour la paix, la démocratie et les droits de l’homme. Dans son livre, Sevim Dagdelen livre une vivisection sans faille de l’Alliance de l’Atlantique Nord, retraçant son essence depuis sa création jusqu’à l’ère actuelle d’une « OTAN mondialisée ». Alors que de nombreux spécialistes des études de sécurité ont consacré d’innombrables mots et pages à légitimer l’existence continue de ce « dinosaure » militaire – en particulier après la fin de la guerre froide et la dissolution de son adversaire, le Pacte de Varsovie – Dagdelen coupe la rhétorique. Elle contourne les documents stratégiques et les nobles déclarations des dirigeants de l'OTAN pour se concentrer sur le cœur du problème : une critique convaincante des actions de l'OTAN, fondée sur des faits bruts et indéniables.

Les critiques diront peut-être qu’il ne s’agit pas d’un livre scientifique, mais c’est précisément ce dont le monde a besoin à ce moment historique crucial. Le monde universitaire a été détourné par une épistémologie militaire au cours des dernières décennies, créant ce qui ne peut être décrit que comme un MIMAC – le complexe militaro-industriel-médias-académique. Dans de telles conditions, à quelques exceptions près, les soi-disant « chercheurs sérieux » ont cédé devant le pouvoir et l’argent. Les examens critiques de l’OTAN qui existent sont souvent insuffisants ; ils remettent rarement en question l’existence continue de l’OTAN ou son rôle dans l’alimentation de l’impérialisme occidental et le déclenchement d’une nouvelle course aux armements mondiale. Pour être accepté au sein d’une « université sérieuse », il faut être politiquement correct et contourner avec légèreté le Léviathan militaire alors même qu’il menace d’engloutir le monde entier.

À cet égard, Dagdelen ressemble à l'enfant du conte d'Andersen, Les habits neufs de l'empereur. Elle ose crier ce que les autres ne veulent pas : l'Empereur est nu. Elle expose la véritable nature de l’OTAN, ses actions et l’orgueil qui pourrait conduire le monde à la catastrophe. Le travail de Dagdelen constitue une critique nécessaire et courageuse à une époque où dire la vérité est devenu un acte radical.

Le livre de Dagdelen est plus qu'une simple critique ; c’est une leçon pour de nombreux universitaires et une révélation pour le grand public. C’est à la fois complet et provocateur, à l’image de Dagdelen elle-même. Au lieu de se contenter de retracer la transformation de l’OTAN au fil du temps, elle se penche sur ses origines pendant la guerre froide pour exposer dès le début la nature profondément enracinée de l’alliance en tant que force interventionniste et offensive.

Le livre examine rigoureusement l'implication de l'OTAN dans divers conflits, des Balkans au Moyen-Orient, remettant en question le discours selon lequel l'alliance est engagée en faveur de la paix et de la sécurité. Dagdelen soutient de manière convaincante que l’OTAN sert de plus en plus d’instrument d’hégémonie occidentale, privilégiant souvent les intérêts de quelques États membres puissants aux dépens de la stabilité mondiale. Son travail dissipe les mythes entourant l’OTAN et propose une évaluation qui donne à réfléchir sur son véritable impact sur le monde.

L'un des points forts du livre réside dans son exploration des développements récents, en particulier de l'implication dangereuse de l'OTAN dans la guerre par procuration en Ukraine et de sa contribution éhontée au génocide à Gaza. Dagdelen n’hésite pas à dénoncer les liens profonds qui font de l’OTAN et de l’Union européenne des jumeaux siamois, tous deux au service des intérêts de l’empire américain. Elle élucide de manière convaincante le fonctionnement interne de cette relation, révélant comment même les États membres de l’OTAN sont soumis à une forme de traitement colonial de la part de l’alliance.

En outre, Dagdelen souligne l’expansion de ce qu’on appelle « l’OTAN mondiale », qui menace de transformer d’autres États à travers le monde en de nouveaux pions pour l’hégémonie occidentale, tout au long des mécanismes du complexe militaro-industriel-médiatique-académique basé en Occident ( MIMAC). Son analyse met en lumière les dynamiques de pouvoir et de contrôle souvent cachées au sein de l’OTAN, montrant comment l’alliance non seulement mine la stabilité mondiale, mais soumet également ses propres membres à l’agenda impérialiste plus large. Cette exploration ajoute une dimension critique au livre, ce qui en fait une lecture incontournable pour quiconque cherche à comprendre la véritable nature de l’OTAN et ses conséquences à grande échelle.

Dans le dernier chapitre de son livre, Dagdelen va au-delà de la simple critique pour proposer un pas en avant audacieux. Contrairement à de nombreux analystes qui terminent leurs travaux avec un diagnostic mais sans remède, Dagdelen se risque à proposer une voie vers un avenir plus paisible. Bien que sa proposition ne soit pas élaborée de manière très détaillée, il est significatif qu’elle franchisse cette étape, suggérant la possibilité d’une transformation progressive de l’OTAN de l’intérieur. Elle envisage cette transformation motivée par le réveil des États membres – ou plus précisément des mouvements sociaux et politiques en leur sein – qui exigeront « plus de beurre que d’armes » et donneront la priorité à la justice sociale plutôt qu’aux victoires militaires à la Pyrrhus.

Dagdelen souligne que malgré l'expansion récente de l'OTAN, avec l'inclusion de la Suède et de la Finlande, le déclin de l'alliance est de plus en plus apparent. Cependant, elle met en garde contre l'espoir d'une auto-dissolution de l'OTAN, avertissant qu'un tel effondrement pourrait entraîner une destruction généralisée. Selon elle, il est crucial de développer des alternatives viables pour éviter une telle catastrophe. Cette prudence est fondée, car le sort de l’OTAN, avec son arsenal militaire massif – y compris ses armes nucléaires – reste étroitement lié à la stabilité de l’empire américain.

Dagdelen suggère qu'une réorientation significative de la mission de l'OTAN pourrait impliquer de délaisser l'interventionnisme militaire pour se concentrer sur la diplomatie, la prévention des conflits et le désarmement – ​​des objectifs qui, bien que cruciaux, restent insaisissables. Elle plaide pour que l'OTAN donne la priorité à un véritable multilatéralisme et collabore plus étroitement avec des organisations internationales comme les Nations Unies, en mettant l'accent sur les résolutions pacifiques plutôt que sur le recours à la force. Ces propositions s'alignent sur la lettre et l'esprit de la Charte des Nations Unies, soulignant un engagement en faveur d'un monde où la coopération internationale et la résolution pacifique des conflits priment sur la puissance militaire.

La vision de Dagdelen, bien que présentée avec prudence, offre un aperçu d'un avenir dans lequel l'OTAN pourrait évoluer d'une force de domination vers une force de coopération et de paix. Son appel à la transformation n’est pas seulement une critique du présent mais un projet plein d’espoir, quoique provisoire, pour un monde meilleur – un monde où les principes de justice sociale et de diplomatie guident les relations internationales plutôt que la poursuite de la suprématie militaire.

Même si certains lecteurs peuvent trouver les propositions de Dagdelen idéalistes ou difficiles à mettre en œuvre dans le climat géopolitique actuel, ses idées offrent un contrepoint nécessaire aux discours dominants sur l'avenir de l'OTAN. L’impérialisme occidental, comme le soutient Dagdelen, prospère grâce à une forme d’« hégémonie culturelle » qu’il impose à ses vassaux à travers le monde. Pour contester cette domination, tout mouvement contre-culturel doit commencer par un nouveau récit enraciné dans le principe selon lequel « il existe des milliers d’alternatives » (TATA). La réalité troublante parmi les intellectuels et le grand public d'aujourd'hui est que nous avons oublié comment imaginer de nouvelles possibilités, comment créer des visions alternatives qui remettent en question la « vérité dominante » perpétuée par Big Brother. À tout le moins, ce livre constitue un exemple concret de la manière dont nous pouvons repenser un monde qui se précipite vers son propre abîme. Dans cette lutte, Sevim Dagdelen n’est pas seul ; elle fait partie d’un mouvement plus large qui appelle à la prudence, à la détermination et au courage personnel et collectif.

Dans l'ensemble, OTAN : bilan avec l’Alliance atlantique est une lecture stimulante qui remet en question les visions conventionnelles de l’Alliance de l’Atlantique Nord et son impact sur la scène mondiale. En tant qu'homme politique allemand chevronné ayant une longue histoire de contestation des discours dominants, Dagdelen propose aux lecteurs une analyse incisive du rôle de l'OTAN dans les affaires mondiales, remettant en question le fondement même de son existence et de sa raison d'être dans le monde contemporain. Le livre déconstruit méticuleusement la puissance militaire de l'OTAN, révélant comment son expansion et ses ambitions mondiales ont souvent apporté plus d'insécurité que de paix.

Le travail de Dagdelen est essentiel pour les lecteurs qui cherchent à mieux comprendre l'histoire de l'alliance, ses défis actuels et les voies potentielles à suivre. Sa critique de la militarisation de l’OTAN et de ses ambitions mondiales est à la fois opportune et nécessaire, car elle soulève d’importantes questions sur l’avenir de la sécurité internationale et le rôle des alliances militaires dans un monde en évolution rapide. La vision de Dagdelen d'une OTAN transformée nous invite à imaginer un autre type d'ordre international, un ordre dans lequel la paix, la justice et la coopération ont préséance sur la guerre, le pouvoir et la domination. Ce livre n'est pas seulement une critique ; c'est un appel à l'action, nous exhortant à remettre en question le statu quo et à envisager un monde construit sur les principes d'un véritable multilatéralisme et de sécurité collective.

Source: https://www.counterpunch.org/2024/09/09/telling-the-truth-in-times-of-general-deceit/

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