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Depuis plus de deux Depuis quelques semaines, des manifestations contre les mandats de santé publique de Covid-19 ont occupé Ottawa, la capitale du Canada, sous la bannière du « Freedom Convoy ». Est-ce qu’une lutte de libération anti-autoritaire digne de ce nom pouvait avoir une telle endurance ; si seulement ceux qui luttent contre le capitalisme racial pouvaient prendre une ville et la tenir, mettant le pouvoir de l’État sur le dos.
La droite, bien sûr, n’a pas certains des obstacles invétérés auxquels la gauche est confrontée – avant tout, la police, dont la légèreté jusqu’à présent a été la clé de la capacité des manifestants dirigés par la droite à installer leur camp devant le Parlement canadien. Des vidéos montrent même des flics offrant mots de Support aux manifestants. À plus d’une occasion, les flics ont écarté les contre-manifestants des convois de camions rejoignant le blocus.
En revanche, les défenseurs des terres autochtones de la Première Nation Wet’suwet’en ont été confrontés ces dernières années à des violences policières constantes lorsqu’ils ont tenté d’utiliser des blocages pour arrêter la construction de pipelines. Ce qui ne veut pas dire que la gauche veut la police de son côté : les mouvements de libération dirigés par la gauche, les Noirs et les Autochtones ne peuvent pas, et ne voudraient pas, chercher la compréhension des forces de police qui les oppriment.
Cependant, la gauche a d’autres leçons à tirer des occupations et des blocus à Ottawa – des leçons qui n’impliquent en aucun cas de soutenir le pouvoir de l’État ou d’embrasser les manifestants comme des alliés potentiels de la classe ouvrière et anti-autoritaires. Au lieu de cela, la gauche devrait chercher à utiliser le même pouvoir perturbateur affiché dans ces manifestations, mais uniquement selon ses propres conditions.
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Un combat à trois
La relative indulgence avec laquelle la police a accueilli les manifestants du convoi pourrait toucher à sa fin. Le chef de la police d’Ottawa a été évincé cette semaine au milieu des critiques sur son inaction contre le convoi. Et lundi, le Premier ministre canadien Justin Trudeau a déclaré une urgence d’ordre public national – la première fois qu’un gouvernement canadien a pris une telle mesure en un demi-siècle – pour éliminer l’occupation et les blocus alliés le long de la frontière canadienne. L’ordonnance d’urgence confère au gouvernement fédéral des pouvoirs extraordinaires, notamment des droits de réunion publique et permet d’empêcher toute personne soupçonnée de participer à la manifestation d’utiliser les institutions financières.
La gauche n’a rien à soutenir dans l’invocation de ces pouvoirs répressifs. Ces mêmes mesures seront utilisées pour étouffer les mouvements que nous soutenons. Les communautés pauvres, marginalisées et racialisées sont déjà sommairement arrêtées, déportées, surveillées et exclues de l’économie.
Et l’État canadien ne fait pas preuve d’une volonté unique de réprimer les mouvements de droite ; nous voyons plutôt le gouvernement Trudeau contraint dans un coin, ayant cédé du terrain à ces manifestants qu’aucun manifestant antiraciste de gauche ne serait autorisé.
Nous n’avons pas besoin de nous joindre aux appels libéraux à l’intervention de la police et de l’État pour nous opposer à l’occupation et aux convois imitateurs qu’elle inspire. Au lieu de cela, nous pouvons soutenir les contre-manifestants qui repoussent les convois comme une réponse antifasciste à la présence de forces d’extrême droite en leur sein.
De même, nous pourrions trouver de la sympathie pour les habitants d’Ottawa qui veulent naturellement un retour à la paix dans leur ville normalement calme, secouée la nuit par les klaxons des camions de l’occupation et la musique de fin de soirée. Pourtant, le problème avec l’occupation n’est pas qu’elle est perturbatrice – bloquer les points clés de la circulation du capital est une stratégie à adopter.
La même logique tactique a inspiré le Printemps arabe, les mouvements de la place européenne en 2010 et les campements d’Occupy l’année suivante ; s’emparer de pans entiers de l’espace urbain n’est pas une invention du convoi de camionneurs. La capacité des camionneurs à tenir un centre-ville pendant des semaines dans un pays puissant comme le Canada est néanmoins digne de mention.
Ces dynamiques résument à quel point le danger, comme toujours, ne consiste pas à tirer les leçons des protestations de droite, mais à tirer les mauvaises.
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Idées fausses de « liberté »
Il est vrai que les manifestants canadiens ne sont pas uniformément blancs ni tous attachés à un nationalisme blanc trumpien ; il y a des participants qui ont vu une occasion, bien que catalysée par un pathétique mouvement anti-mandat, de protester contre le gouvernement Trudeau et ses politiques néolibérales.
On pourrait plisser les yeux et voir le potentiel d’affinités anti-autoritaires à trouver. Louchez si fort, cependant, et vous pourriez constater que vos yeux sont fermés. Nous ne pouvons pas ignorer la notion suprémaciste blanche d’autonomie qui sous-tend le mouvement, qui n’est pas un aspect accessoire qui pourrait être exorcisé pour révéler un mouvement ouvrier basé sur la solidarité.
Inutile de dire qu’il n’y a rien de salutaire dans le rejet individualiste des masques et des vaccins. L’historien Taylor Dysart dans le Washington Post a qualifié à juste titre la notion de « liberté » de ces camionneurs – la capacité de se déplacer librement et potentiellement de propager des maladies sur les terres autochtones occupées des États-Unis et du Canada – comme la « liberté » des colons colonialistes.
Le colonialisme des colons était évident dans l’abus offensant des cérémonies autochtones par les occupants – que les groupes autochtones ont condamnés – et dans la façon dont les manifestants du convoi ignorent les appels des communautés autochtones à la fin de cette occupation sur des terres déjà occupées.
Le « Freedom Convoy » n’est pas non plus un défi aux régimes frontaliers violents des États-Unis et du Canada, même s’il a commencé pour protester contre la politique frontalière exigeant que les camionneurs soient vaccinés pour traverser entre les États-Unis et le Canada. Un certain nombre de dirigeants du mouvement ont ouvertement exprimé des sentiments racistes et anti-immigrés et ont été impliqués dans l’organisation d’extrême droite.
Les manifestants anti-mandat ne luttent pas pour la liberté de mouvement de qui que ce soit, mais pour la leur.
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Exemple de gilets jaunes
Une comparaison utile pourrait être établie avec le mouvement des gilets jaunes, qui a explosé dans les rues de France fin 2018. Les protestations étaient initialement en réponse à l’augmentation des taxes sur le carburant par le président français ur-néolibéral Emmanuel Macron – une mesure prétendument écologique qui en fait mettre un fardeau financier extraordinaire sur la classe ouvrière tout en refusant de défier les grandes entreprises. Les manifestations ont éclaté en un soulèvement généralisé contre le statu quo français d’austérité et d’injustice économique.
Sous l’égide des gilets jaunes, des éléments fascistes faisaient également pression pour des politiques d’immigration dures, tandis que des gauchistes antifascistes descendaient dans la rue contre la police et les institutions capitalistes. Le mouvement contenait de profonds conflits internes et les participants de gauche étaient confrontés à la question de savoir s’il valait la peine d’essayer de combattre les éléments racistes et fascistes des soulèvements au sein du mouvement. Beaucoup, cependant, ont jugé l’alternative – permettre aux forces d’extrême droite de diriger et de contrôler le moment révolutionnaire – inacceptable.
La même logique pourrait-elle également s’appliquer aux manifestations anti-étatiques au Canada et au-delà aujourd’hui ? La gauche doit-elle refuser de céder le terrain de la dissidence anti-étatique et des luttes de circulation aux théoriciens du complot de droite ?
Toute réponse valable aux occupations et blocus du « Freedom Convoy » doit prendre effet dans des termes totalement antiracistes, antifascistes et anticapitalistes.
La différence entre les blocages actuels et les gilets jaunes est que les « convois de la liberté » ne sont pas seulement accessoirement riches en éléments d’extrême droite ; la notion d’autonomie qui anime le mouvement est essentiellement suprémaciste blanche et individualiste. Notamment aussi, le soutien de la droite américaine aux blocages n’est anti-étatique que dans la mesure où l’État n’est pas trumpien. Et il convient de rappeler que lorsque le Canada a vu émerger son propre mouvement Yellow Vest en réponse à celui de la France, il était explicitement de droite et anti-immigrés ; les blocages actuels s’inscrivent dans cet héritage.
S’il y a un héritage lié aux gilets jaunes à porter vers des objectifs plus libérateurs que ceux des occupations d’Ottawa, on pourrait plutôt rappeler les gilets noirs. Cet immense collectif d’immigrants sans papiers en France a mené d’importantes actions de protestation en 2019, notamment en occupant un terminal de l’aéroport Paris Charles De Gaulle en résistance directe au rôle d’Air France en tant que “déporteur officiel de l’État français”. Le mouvement a compris aussi l’importance de frapper aux grands points de circulation : lieux de libre circulation des capitaux et limites brutales à la circulation des personnes.
Comme la réponse des gilets noirs aux gilets jaunes, toute réponse valable aux occupations et aux blocus du « Freedom Convoy » doit prendre effet en termes totalement antiracistes, antifascistes et anticapitalistes. De ce côté-ci de l’Atlantique, la voie a déjà été tracée – et non par des manifestants anti-mandat. Les défenseurs autochtones de la terre et de l’eau, de Standing Rock aux territoires Wet’suwet’en, nous ont montré à quoi ressemble la lutte contre la circulation capitaliste au service de la liberté collective plutôt qu’individuelle.
La source: theintercept.com