Alain Krivine (1941-2022) était un socialiste révolutionnaire de longue date connu pour son activisme depuis la révolte étudiante et la grève générale de mai 1968 en France. Main McGroganqui l’a interviewé, raconte la vie et l’activisme de Krivine.
La gauche révolutionnaire française a perdu l’une de ses figures historiques les plus marquantes. Alain Krivine, surtout connu pour son militantisme lors des événements de mai 1968, sa candidature à la présidence française les années suivantes et sa longue direction de la Ligue communiste révolutionnaire trotskyste (LCR), est décédé à l’âge de 80 ans.
Krivine est né à Paris en 1941, dans une famille juive ukrainienne qui avait échappé aux pogroms antisémites du XIXe siècle en Europe de l’Est. Adolescent, il a rejoint l’aile jeunesse du Parti communiste français, mais est rapidement devenu un dissident face à l’opposition du parti à l’indépendance de l’Algérie vis-à-vis de la France.
Il a ensuite rejoint le réseau Jeune Résistance, encourageant les jeunes hommes à ne pas s’enrôler (ou à déserter) dans la guerre brutale de l’armée française contre le Front de libération nationale algérien (FLN), puis a secrètement abrité et animé des militants et du matériel du FLN à travers la France. De retour à l’Université de la Sorbonne en tant qu’étudiant en sciences humaines, il a été régulièrement impliqué dans le «nettoyage des rues» des voyous fascistes pro-français-algériens et des partisans du gang paramilitaire d’extrême droite OAS.
Au début des années 1960, Krivine avait été gagné au trotskysme et avait finalement été exclu du groupe de jeunes du Parti communiste pour ses activités d’opposition. Inébranlable, il a cofondé la Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR), un groupe qu’il a qualifié plus tard de “plus guévariste que trotskyste”, en raison de la promotion par ses membres des mouvements de guérilla latino-américains. Les JCR étaient au cœur des nombreux « comités vietnamiens » anti-guerre qui ont vu le jour dans toute la France en 1966-1967.
Le 3 mai 1968, Krivine fait partie des centaines de militants politiques et étudiants à occuper la cour de la Sorbonne. C’était pour protester contre la discipline de l’Université des étudiants de Nanterre (dont Daniel Cohn-Bendit) pour leur activité contre la guerre du Vietnam et les autorités françaises. L’évacuation forcée et l’arrestation des occupants par la police ont déclenché les manifestations étudiantes et les émeutes de mai 68, au cours desquelles la brutalité scandaleuse de la police anti-émeute a contraint les dirigeants syndicaux à appeler à une journée de grève générale le 13 mai.
Plus d’un million de personnes ont défilé dans Paris en signe de protestation et, en quelques jours, étudiants et ouvriers ont spontanément pris le contrôle de leurs universités, usines, bureaux et magasins. Elle s’est transformée en la plus grande grève générale que le monde ait jamais vue, le pays étant paralysé par le pouvoir de dix millions de travailleurs. Le gouvernement a failli s’effondrer et le président, Charles de Gaulle, s’est en fait retiré pour consulter ses généraux à la frontière allemande, où il lui a été conseillé (de manière apocryphe) de «se ressaisir».
Les JCR ont été au cœur de l’action du début à la fin, apparaissant souvent dans des films et des photos des événements. Krivine lui-même peut être vu sur des images haranguant des foules d’étudiants dans les amphis occupés, et menant les chants JCR, mégaphone à la main lors des grandes marches. Espérant faire cause commune avec les travailleurs, Krivine et la JCR ont mené une marche de la Sorbonne aux portes de l’usine géante Renault-Billancourt, pour constater que le syndicat CGT avait verrouillé les portes, craignant que le radicalisme des étudiants ne contamine les grévistes.
En juillet, le vent s’est retourné contre les radicaux, car la combinaison de la répression policière et de la pression des dirigeants syndicaux compromettants a vu le mouvement de grève refluer et les occupations étudiantes faiblir. Le parti de De Gaulle avait remporté une victoire écrasante aux élections générales de juin, et le nouveau ministre de l’Intérieur intransigeant, Raymond Marcellin, a réprimé les groupes radicaux, les accusant de faire partie d’un complot communiste international. Onze organisations révolutionnaires ont été interdites et leurs dirigeants emprisonnés, parmi lesquels Krivine et plusieurs de ses camarades JCR.
Pourtant, malgré la fin du mouvement de masse de mai, la JCR a interprété les événements comme une « grande répétition générale » pour la révolution à venir. Avec Krivine rapidement libéré, ils se sont regroupés en Ligue Communiste, section française de la Quatrième Internationale. Avec à sa tête un triumvirat composé de Krivine, Daniel Bensaïd et Henri Weber, la Ligue se démarquait de la pléthore de groupuscules d’extrême gauche et d’ultra gauche de l’après 68, par sa plus grande organisation, son analyse politique pointue et son ouverture à de nouvelles mouvements.
En mai 1969, alors qu’il faisait son service militaire, Krivine est entré dans l’histoire en tant que premier révolutionnaire ouvert à se présenter au premier tour des élections présidentielles françaises, apparaissant à la télévision et dans les journaux avec le slogan “Le pouvoir ne réside pas dans les urnes”. Mais bien que la Ligue le promeuve comme candidat du “mouvement de mai”, il n’était peut-être pas surprenant, suite à la réaction des conservateurs gaullistes, qu’il ne puisse recueillir que 1% (toujours honorable 236 000 voix).
Dans les années 1970, la Ligue s’est lancée dans une variété de campagnes et de mouvements dans les collèges, les universités et les lieux de travail, saluant l’arrivée de nouveaux mouvements sociaux de libération des femmes et des homosexuels, l’antiracisme et la construction d’une opposition au militarisme et au nucléaire. Toujours au premier plan, Krivine a cherché à articuler la dernière position dans ses articles pour le journal de la Ligue Rouge.
En juin 1973, il était de retour au journal télévisé pour défendre l’attaque au cocktail molotov de la Ligue contre une réunion fasciste (et l’affrontement qui s’ensuivit avec la police) devant la salle de la Mutualité à Paris. Ce fut le prétexte pour Marcellin d’interdire la Ligue et d’arrêter à nouveau Krivine, malgré l’intercession publique du futur président socialiste François Mitterrand en son nom.
Mais comme auparavant, la Ligue refait surface sous le nom de LCR, juste à temps pour les élections présidentielles de 1974 où Krivine se présente à nouveau. Cependant, à cette occasion, il a été éclipsé par un autre candidat trotskyste, l’employée de banque Arlette Laguiller de Lutte Ouvrière. Fraîchement sortie de son rôle de premier plan dans une grève de banque, elle a fait campagne sur un ticket “une femme, une ouvrière et une révolutionnaire” gagnant 2,5% (contre 1,5% pour Krivine).
Par la suite, elle deviendra la candidate révolutionnaire phare des élections présidentielles françaises, bien qu’elle et Krivine aient fait campagne avec succès sur un ticket commun pour remporter des sièges au Parlement européen en 1999. Dans les années 2000, c’est au tour du jeune postier dynamique Olivier Besancenot (de la LCR) à se présenter aux élections présidentielles, obtenant environ 4% – un million de voix ou plus – en 2002 et 2007. C’est Krivine qui a convaincu Besancenot de se présenter et l’a encadré dans le processus. En 2008, ils ont tous deux aidé à fonder le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) pour faire entrer un mouvement de gauche radicale plus large dans le 21st siècle, après quoi Krivine prendrait un siège arrière dans la politique française.
Alain Krivine était un homme d’une grande énergie, d’une acuité et d’une générosité d’esprit. Sur une note personnelle, Je l’ai interviewé plusieurs fois lors de mes recherches de doctorat sur l’underground politique français des « années 68 » et il a toujours été très chaleureux, plein d’esprit et ouvert sur sa vie de militant.
Le regretté Daniel Bensaïd a parlé de l’altruisme de Krivine dans son autobiographie Une vie impatiente:
Il ne pouvait pas être corrompu moralement, matériellement ou par les médias. Alain était comme un grand frère rassurant, rigoureusement égalitaire, toujours prêt à intervenir. Il était toujours disponible, même en pleine nuit, pour se précipiter au secours d’un camarade pris au cachot ; heureux de manger tout ce qu’on lui propose et de supporter les pires accommodements militants.
Les gauchistes en France et dans le monde n’ont pas tari d’éloges et d’hommages à son égard. Même les opposants ont eu du mal à dire un gros mot. En effet, le bureau du président Emmanuel Macron (à peine un ami) a publié une déclaration saluant la “vie d’engagement et de militantisme, menée avec passion et soif de justice et d’égalité” de Krivine. Le vieux trotskyste rusé aurait reculé devant cela, d’autant plus qu’il soutenait l’action incendiaire et anti-pauvreté gilets jaunes (gilets jaunes) de 2018-19 que Macron a tenté d’écraser.
Le dernier mot devrait revenir au NPA, qui stipule sur son site internet que: “Jusqu’à la toute fin de sa vie, Alain n’a jamais abandonné le combat, ni cédé à l’idée que ‘Tu t’en remettras en vieillissant’.” Il va beaucoup nous manquer.
Manus McGrogan est un historien qui a beaucoup écrit sur les événements de mai 1968 en France et leur héritage, ainsi que sur les mouvements radicaux mondiaux des années 1960 et 1970. Il est l’auteur de Qui diable est Karl Marx.
La source: www.rs21.org.uk