Les mécaniciens de WestJet ont déclenché une grève surprise le vendredi 28 juin, au cours de la longue fin de semaine de la fête du Canada. Cette décision fait suite à l'ordonnance d'arbitrage exécutoire du ministre fédéral du Travail, Seamus O'Regan, le 27 juin, après que WestJet en a fait la demande au Conseil canadien des relations industrielles (CCRI). Bien que l'ordonnance d'O'Regan soit dans son droit en tant que ministre du Travail, le CCRI a statué à deux reprises qu'un tel renvoi ne suspend pas le droit de grève. Le 20 juin, le conseil a également rejeté la demande d'injonction de WestJet visant à empêcher toute grève éventuelle.

Les membres de l'Aircraft Mechanics Fraternal Association (AMFA) ont voté massivement en faveur de la grève le 9 mai, avec 99 % de voix en faveur et 90 % de participation. Le 11 juin, ils ont rejeté catégoriquement l'offre de WestJet, déclenchant la dernière série de négociations avant l'ordonnance d'arbitrage. Pour les ingénieurs d'entretien d'aéronefs (AME) de WestJet, la rémunération reste un point de discorde majeur. Ces négociations portent sur le premier contrat des AME, car ils ont voté pour rejoindre l'AMFA au début de 2023 et ont déjà déposé des plaintes pour pratiques déloyales de travail contre l'entreprise pendant les négociations.

La décision de M. O’Regan de soumettre le conflit à l’arbitrage est controversée. Le porte-parole du Nouveau Parti démocratique (NPD) en matière de travail, Matthew Green, a publié une déclaration critiquant la décision, soulignant que l’arbitrage n’a été utilisé que sept fois dans les conflits de travail sous réglementation fédérale au cours des quarante-cinq dernières années. À la lumière d’une décision de la Cour suprême de 2015 reconnaissant le droit de grève, cet arbitrage forcé pourrait constituer une violation des droits à la négociation collective. Ironiquement, il y a quelques jours à peine, le gouvernement a promulgué une loi interdisant le recours à des travailleurs de remplacement pendant les grèves et les lock-out dans les industries sous réglementation fédérale, avec un communiqué de presse affirmant que « le gouvernement du Canada croit en la négociation collective libre et équitable ».

Dans la nuit du 30 juin, la grève était terminée. Cependant, 832 vols ont été annulés et 100 000 passagers ont été affectés avant qu'un accord provisoire de cinq ans ne soit conclu. L'accord prévoyait une augmentation salariale immédiate de 15,5 pour cent, suivie d'augmentations de 3,25 pour cent la deuxième année et de 2,5 pour cent par an les trois dernières années. L'action directe a porté ses fruits.

La grève a été une démonstration simple mais impressionnante du pouvoir des travailleurs. Le syndicat avait reçu un mandat de grève fort de la part de ses membres et a choisi de faire grève pendant une longue fin de semaine afin de maximiser les perturbations économiques. En raison de la nature spécialisée du travail des techniciens d'entretien d'usine, ils ne pouvaient pas être facilement remplacés par d'autres employés ou gestionnaires de WestJet. En bref, ils disposaient d'un pouvoir associatif et structurel important pour forcer l'employeur à accepter une entente.

L’intervention du gouvernement fédéral dans le conflit du travail n’est pas sans précédent. Les gouvernements fédéral et provinciaux sont connus pour utiliser des lois de retour au travail pour mettre fin aux grèves et aux lock-out. Cette pratique a commencé avec les tentatives de Pierre Trudeau, le père de Justin Trudeau, à la fin des années 1970 et dans les années 1980 pour contrôler l’inflation. Bien que les gouvernements aient prétendu que cette loi était exceptionnelle et qu’elle avait été mise en œuvre en raison de la crise de l’inflation, ils ont néanmoins continué à l’utiliser pendant des décennies. Leo Panitch et Donald Swartz ont qualifié cette pratique d’« exceptionnalisme permanent ».

Ce qui est particulièrement troublant, c'est que ce cas concerne un employeur du secteur privé. L'ingérence dans les négociations du secteur public est déjà une mauvaise chose, mais historiquement, le secteur privé a été laissé tranquille. Cela a changé lorsque le gouvernement conservateur de Stephen Harper a menacé à plusieurs reprises ou adopté des lois de retour au travail ciblant les travailleurs d'Air Canada et des chemins de fer du CN et du CP, en invoquant des raisons économiques. Lorsque le gouvernement indique qu'il interviendra dans le secteur privé, c'est un signe inquiétant pour les relations de travail en général.

Le gouvernement de Justin Trudeau a lui aussi suivi cette tendance. En 2018, il a utilisé une loi de retour au travail pour mettre fin à une grève des travailleurs des postes. Cela a marqué un changement important dans les relations du gouvernement avec les syndicats, un groupe qu'il avait cherché à conquérir lors des élections de 2015.

La nomination d’O’Regan au poste de ministre du Travail en 2021 semblait indiquer une approche plus conciliante, voire progressiste, de la part du gouvernement. En 2023, O’Regan s’est abstenu d’intervenir injustement dans plusieurs grèves très médiatisées, notamment celles des travailleurs du secteur public fédéral, des travailleurs des ports de la côte ouest et des travailleurs de la Voie maritime du Saint-Laurent. Ces grèves ont eu des répercussions économiques importantes.

Au sortir de la pandémie de COVID-19, les travailleurs et les syndicats ont bénéficié d'un large soutien, non seulement pour rattraper l'inflation des salaires, mais aussi pour obtenir de meilleures conditions de travail en général. Il y a six mois à peine, O'Regan a déclaré au Globe and Mail« Parfois, les gens attendent de l’État qu’il intervienne, qu’il fasse avancer les choses plus rapidement ou d’une manière qui leur serait plus favorable. Invariablement, je réponds que je reste assis à la table des négociations et que je fais le travail. L’État ne devrait pas être impliqué dans ce genre de choses. »

Il semble que cette ingérence gouvernementale potentiellement illégale pourrait être motivée par l’opportunisme politique. Trudeau et son parti sont en chute libre dans les sondages, et certains députés libéraux semblent comploter pour le chasser. Dans ce contexte, il existe une possibilité très réelle que le gouvernement vire à droite. Par exemple, Anita Anand, présentée comme une possible remplaçante de Trudeau, a fait valoir ses qualités de faucon budgétaire en tant que présidente du Conseil du Trésor. Cette stratégie contraste avec celle du Parti conservateur, qui a récemment voté en faveur de l’interdiction des travailleurs de remplacement dans le but de tendre la main aux travailleurs syndiqués.

Alors que les libéraux subissent une forte baisse dans les sondages, les quatre millions de membres des syndicats du Canada deviennent un électorat clé à prendre entre les conservateurs et le NPD, traditionnellement considéré comme le parti aligné sur les intérêts des travailleurs.

Alors que les libéraux pourraient virer à droite, que les conservateurs cherchent à obtenir les votes des syndicats pour des raisons politiques et que le NPD est toujours loin derrière en troisième position dans les sondages, les perspectives de la classe ouvrière au Canada semblent de plus en plus incertaines. Cependant, les mesures prises par l’AMFA – se mettre en grève malgré les efforts du gouvernement pour l’empêcher et obtenir des augmentations salariales – démontrent qu’il est possible de résister à l’ingérence du gouvernement. Cela signifie que la classe ouvrière n’a pas besoin de compter sur la bonne volonté des politiciens pour gagner.



La source: jacobin.com

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