En octobre 2023, le Conseil de sécurité de l’ONU a voté pour « autoriser le déploiement d’une force multinationale de soutien à la sécurité, dirigée par le Kenya » en Haïti. En plus d’un millier de policiers kenyans, les Bahamas, la Jamaïque, le Belize, le Suriname, Antigua-et-Barbuda, le Guatemala, le Pérou, le Sénégal, le Rwanda, l’Italie, l’Espagne et la Mongolie ont promis des contingents armés. L’ancien Premier ministre Ariel Henry – qui a exercé les fonctions de président par intérim de facto, et donc non élu – avait auparavant exhorté la communauté internationale à agir « au nom des femmes et des filles violées chaque jour, au nom de tout un peuple victime de la barbarie des gangs ».
Selon le Réseau national de défense des droits humains (RNDDH), entre novembre 2018 et mars 2024, les gangs ont été responsables du meurtre de plus de mille cinq cents personnes et du viol de plus de cent soixante filles et femmes, ainsi que de dizaines de disparitions et du déplacement interne de plus d’un demi-million de personnes. Au début de cette période, ces groupes armés agissaient de manière isolée et en concurrence les uns avec les autres. Cependant, en août 2020, neuf d’entre eux se sont fédérés sous la direction de l’ancien policier Jimmy Chérizier, alias Barbecue.
En janvier 2024, Chérizier a rassemblé le reste des gangs de la capitale pour lancer ce qu’ils ont appelé une « révolution ». Ils ont d’abord pris le contrôle de la zone autour de l’aéroport international pour empêcher Henry de retourner en Haïti après son voyage au Kenya. Au cours des mois suivants, ils ont rasé des commissariats de police et des prisons et incendié des hôpitaux publics, des universités et des bibliothèques, tuant au passage quelques centaines de personnes. Pour remplacer le gouvernement d’Henry, la Communauté des Caraïbes (CARICOM) a facilité la mise en place d’un Conseil présidentiel composé de sept membres, dont la majorité représente le Parti haïtien Tèt Kale (PHTK), au pouvoir depuis 2011.
Les médias internationaux présentent la crise haïtienne comme un problème de violence des gangs qui échappe au contrôle de l'État. Pourtant, les mouvements sociaux et les organisations de défense des droits de l'homme ont noté le silence d'Henry sur les centaines de personnes massacrées et kidnappées pendant son mandat. De plus, des rapports produits par des chercheurs indépendants d'Haïti et d'autres pays ont démontré comment divers acteurs, tant nationaux qu'internationaux, ont « fabriqué » le chaos.
La conversation qui suit, basée sur une table ronde, nous pousse à considérer les événements actuels en Haïti au-delà de l’idée d’une crise qui pourrait être résolue par l’occupation militaire, les élections et la « bonne gouvernance ». Les panélistes discutent de ce que les gangs révèlent sur la nature de l’État haïtien et de sa relation avec les élites économiques en Haïti et dans le reste du monde.
La source: jacobin.com