Le 24 avril, Emmanuel Macron a été réélu président de la France, battant pour la deuxième fois la challenger d’extrême droite Marine Le Pen. Après ce qui a brièvement semblé être une course serrée début avril – avec un sondage plaçant Le Pen à deux points du président sortant – la victoire de Macron a été un soulagement pour beaucoup.
Pourtant par rapport à 2017, l’écart entre les deux candidats s’est réduit : Macron a recueilli 18,8 millions de voix cette année, soit deux millions de moins qu’en 2017, tandis que Le Pen en a réuni 13,3 millions, soit près de deux millions de plus que cinq ans auparavant. La différence entre leurs parts de vote a été réduite de près de moitié. Cela signifie-t-il que le soutien au populisme nationaliste de Le Pen est en hausse en France ? Ce n’est qu’une partie de l’histoire.
Trois grandes tendances ont été confirmées. Premièrement, les idées d’extrême droite ont gagné du terrain en s’intégrant, et non en se radicalisant. Lorsque la plate-forme extrême de Le Pen est apparue, elle n’a pas, une fois de plus, été approuvée par les électeurs. Deuxièmement, le clivage gauche-droite en France est durablement fragilisé : de nouvelles fractures se dessinent, géographiquement et politiquement, entre le centre et la périphérie. Troisièmement, l’élan présidentiel de Macron risque d’être de courte durée. À moins qu’il n’obtienne une large majorité gouvernementale lors des prochaines élections législatives, son second mandat sera probablement marqué par des défis soutenus de la gauche et de l’extrême droite. 2022 a apporté des leçons contradictoires, et il reste à voir si et comment Macron peut adapter sa marque unique de centrisme.
Intégrer l’extrême droite
La politique présidentielle française se joue au centre. Parce que le second tour de l’élection présidentielle est un duel entre deux candidats, chacun doit chercher à obtenir la majorité absolue des électeurs. Marine Le Pen a compris depuis longtemps qu’il lui fallait vaincre l’aversion fondamentale que sa candidature suscitait pour accéder au tour final. À cette fin, elle a cherché non pas à activer les factions les plus radicales de son camp, mais plutôt à paraître acceptable à une majorité d’électeurs.
Le Pen a fait campagne pour les élections de 2022 sur le coût de la vie plutôt que sur l’immigration et sur les libertés civiles plutôt que sur l’identité nationale. Dans un effort pour briser les barrières idéologiques, tout comme le fait Macron, elle a déclaré son désintérêt pour l’idée de gauche et de droite en politique. La stratégie a fonctionné : entre le premier et le second tour, elle a gagné non seulement 17 % de l’électorat d’extrême gauche de Jean-Luc Mélenchon mais aussi 18 % des électeurs du centre droit de Valérie Pécresse.
Cependant, la métamorphose de Le Pen est loin d’être complète. Bénéficiant de la présence dans la course d’un candidat bien plus visiblement extrémiste, Eric Zemmour, elle a su maintenir l’ambiguïté sur son programme radical tout au long du premier tour, sonnant plus populiste que nationaliste. Cela a permis à Le Pen de gagner des sympathies et de suggérer aux électeurs que, plutôt que d’être perturbatrice, elle profiterait aux Français de la classe ouvrière et rurale. Fait révélateur, en février 2022, près de deux fois plus d’électeurs pensaient que leur situation personnelle s’améliorerait si Le Pen était élu (27 %) qu’avec Macron (15 %).
Cependant, dans les deux semaines entre le premier et le second tour, la plate-forme et les propositions de Le Pen ont finalement été examinées par les médias et sous le feu politique d’un large spectre allant de l’extrême gauche au centre droit. Ses idées radicales, comme l’interdiction du foulard dans la sphère publique, ou l’établissement d’une « préférence nationale » pour les services publics, ont de nouveau été débattues publiquement. Il a réveillé le “front républicain”, une coalition d’électeurs français qui ont reconnu que, s’ils ne voulaient pas nécessairement voter pour Macron, ils devaient encore empêcher l’extrême droite d’accéder à la présidence. La stratégie de « désintoxication » de 10 ans de Le Pen a parcouru un long chemin, mais, une fois de plus, a échoué.
Nouvelles lignes de faille
L’affaiblissement du clivage autrefois déterminant dans la politique française entre gauche et droite, théorisé et exploité par le candidat Macron il y a cinq ans, s’est confirmé lors de cette élection. Les candidats des deux grands partis qui avaient dominé le système partisan français jusqu’en 2017 ont obtenu des scores abyssaux (4,8% pour Pécresse du centre-droit Les Républicains et 1,8% pour Anne Hidalgo, la maire de Paris, des socialistes de centre-gauche) . Au lieu de cela, de nouvelles divisions apparaissent.
Au fil du temps, Macron en est venu à représenter le centre, non seulement politiquement mais aussi géographiquement, tandis que le camp de Le Pen en est venu à incarner la périphérie. Le président a reçu une plus grande part de voix des cadres que des ouvriers, et des électeurs français diplômés de l’enseignement supérieur que non. Les sondages montrent que ceux qui sont satisfaits de leur vie ont massivement (69%) voté pour Macron, tandis que près de 80% de ceux qui sont insatisfaits ont voté Le Pen. Les mêmes schémas valent pour l’auto-identification : près de 80 % de ceux qui se sentent « à l’aise ou privilégiés » ont voté Macron, tandis que ceux qui se considèrent « défavorisés » ont choisi Le Pen (65 %). 70% des électeurs français des grandes villes ont choisi Macron (jusqu’à 80% dans le grand Paris), tandis que Le Pen a réalisé ses meilleurs scores dans la France rurale (50%) et les petites villes éloignées des grandes villes (46%), ainsi qu’en péri -zones urbaines (45%). Il n’y a pas que Le Pen qui résonne avec la périphérie ; l’autre candidat anti-système aussi. Les DOM-TOM ont voté massivement pour l’extrême gauche Mélenchon au premier tour, puis pour Le Pen au second (avec une forte abstention dans les deux cas).
Alors que 2022 était une répétition du second tour de 2017, la dichotomie entre le centre et la périphérie semble s’installer dans la politique française. Cependant, le troisième homme de l’élection, Mélenchon, qui a suivi Le Pen avec près de 22 % des voix au premier tour, soutient qu’il y a en fait trois blocs qui émergent dans la politique française : un bloc social-progressiste, soutient-il, est désormais en concurrence avec le bloc centriste de Macron et le bloc nationaliste de Le Pen et Zemmour. La première se dessine : toutes les forces politiques de gauche (Verts, socialistes et communistes) viennent de s’allier avec le parti de Mélenchon, La France Insoumise, dans une Nouvelle Union Populaire Ecologique et Sociale (NUPES) avant les législatives. élections, qui auront lieu les 12 et 19 juin.
Cinq années difficiles à venir pour Macron
Emmanuel Macron a réussi à se faire réélire pour un second mandat, un exploit que ses deux derniers prédécesseurs, François Hollande et Nicolas Sarkozy, n’ont pas réussi à réaliser. Mais rien dans son second mandat ne sera une lune de miel politique, car il devra faire face à l’opposition de la gauche et de l’extrême droite.
Malgré la nette victoire de Macron, l’ambiance dans son camp au lendemain de l’élection était morose. Pour battre Marine Le Pen et attirer les électeurs de gauche après une panique dans les sondages, Macron a travaillé à corriger son image sur deux fronts : son style de gouvernement, perçu comme trop vertical et solitaire, et sa politique en matière d’action pour le climat, considérée comme insuffisamment ambitieuse. Maintenant que des promesses ont été faites, notamment de faire de la France »une grande nation écologique“, le président sera étroitement surveillé par son flanc gauche pour s’assurer qu’il tient ses promesses.
De plus, Macron, qui a dû composer avec le mouvement de protestation des gilets jaunes virulemment anti-gouvernemental lors de son premier mandat, devra être très attentif au mécontentement populaire. A quatre jours du second tour, 59% des Français craignaient que sa réélection ne divise le pays. L’abstention a atteint des chiffres presque records : 24 % au premier tour et 28 % au second, avec près de 9 % d’électeurs ayant voté nul ou blanc le 24 avril. Au total, donc, plus d’un tiers des électeurs français ont rejeté le choix entre Macron et Le Pen en 2022.
Macron peut espérer retrouver un certain élan, s’il parvient à conserver sa majorité gouvernementale lors des élections législatives de juin. Son parti, nouvellement rebaptisé Renaissance (Renouveau), peut compter sur une large coalition avec d’autres partis centristes et de centre-droit, mais devra faire face à des opposants nationalistes frustrés des camps de Le Pen et de Zemmour ainsi qu’à des opposants de gauche revitalisés issus de la NUPES nouvellement créée. Les sondages indiquent tout de même que Macron atteindra probablement son objectif, évitant une cohabitation ardue. Le centre reste un terrain précieux à tenir en France, mais les défis de la périphérie se multiplient.
La source: www.brookings.edu