Adoncques, des rappeurs ont fait un morceau où ils chantent: «Je réclame un autodafé pour ces chiens de Charlie Hebdo».
Cette publication est celle, tu sais, qui s’est depuis de longues années donné pour mission de ne (presque) jamais rester plus d’une semaine sans stigmatiser, d’une manière ou d’une autre, la religion musulmane – et dont les animateurs, dès que des contradicteurs ont l’effronterie de leur signifier que cette obsession est la même, exactement, que celle qui ronge aussi M. Rioufol, prédicateur réactionnaire chez Le Figaro (liste non exhaustive du tout), prennent des airs outragés, pour protester, comme ce gros penseur, qu’on attente à leur «liberté d’expression», et qu’on veut leur brider l’anticonformisme, etc.
Mais si les victimes de leur acharnement prétendent user, de leur côté, de leur liberté d’exprimer la répulsion que leur inspire cette sinistre – mais si furieusement trendy – manie?
Les animateurs de Charlie Hebdo deviennent, tout d’un coup, vachement moins tolérants.
Leur boss – l’inénarrable Charb – vient ainsi de rapporter, dans une burlesquissime tribune (gentiment) publiée par Le Monde, cette anecdote, qui l’a, semble-t-il, durablement scandalisé: «Un jour, un chauffeur de taxi arabe (a) exig(é) de l’un des collaborateurs du journal, reconnu par lui, qu’il descende aussitôt, au motif de dessins moquant la religion musulmane».
L’odieux personnage «arabe» n’avait donc pas voulu comprendre – l’outrecuidance de l’indigénat de la République devient terriblement préoccupante – que la liberté d’expression, telle que l’ont définie les animateurs de Charlie Hebdo (et leurs teupos de l’éditocratie), doit principalement obéir à cette règle (très) simple, et (très) facilement mémorisable: les animateurs de Charlie Hebdo ont le droit de proférer que les musulman(e)s sont des con(ne)s et les Arabes des antisémites, alors que toi, Mohamed, tu as plutôt celui de fermer ta gueule.
Itou, loin de considérer que ses auteurs avaient, non moins que lui, le droit d’user de leur liberté d’énoncer (fût-ce par des formulations un peu rugueuses, mais qui ne devraient certes pas choquer un gars qui a dessiné Christiane Taubira sous les traits d’une guenon) leurs avis sur la vie: ledit Charb, oyant le rap dont je te parlais au début de ce billet, s’est immédiatement dit «choqué» par «ces propos de haine».
Or, il se trouve – la vie nous réserve décidément de très sciantes surprises – qu’avant que ces jeunes gens n’expriment ainsi leur point de vue: d’autres rappeurs avaient, de par le vaste monde, usé des mêmes procédés langagiers, pour dire aussi leurs exaspérations.
Ce fut le cas, notamment, du Tunisien Weld El 15, qui a composé, il y a deux ans, un morceau qui avait pour titre Boulicia Kleb (soit «“Flics = chiens!“ ou encore “Chiens de policiers“»), et qui était «une charge particulièrement violente – mais purement verbale ! – contre les forces de sécurité» de son pays, dans laquelle «les policiers se voyaient donc traités de chiens, bons à égorger comme des moutons, et même à être tirés comme des lapins»: cela lui a valu d’être arrêté et condamné.
Et qui l’a défendu – à très juste titre?
Les animateurs de Charlie Hebdo, qui ont rendu hommage à son «combat pour la liberté d’expression» – sans jamais supposer, il va de soi, qu’il avait pour de bon l’intention d’égorger des policiers.
Nous sommes donc, tu l’auras compris, en présence d’un intéressant cas de foutage de gueule, où les mêmes rigolos considèrent très raisonnablement que le rap qui dénonce en Tunisie les «chiens» de la police et propose de les abattre doit évidemment être regardé comme l’expression artistique, un peu vive mais complètement légitime, d’une saine révolte…
…Mais théorisent que celui qui évoque en France «un autodafé pour ces chiens de Charlie Hebdo» doit au contraire être pris au premier degré, et dénoncé partout comme une incitation à la haine.
Les animateurs de Charlie Hebdo aiment les rappeurs râpeux quand ils peuvent les diluer dans leur grande soupe au choc des civilisations – mais sinon?
Ils trouvent que ces sauvageons devraient apprendre à mieux se tenir – et cela devrait du moins leur gagner quelques lecteurs chez l’UMP.