Le 27 janvier, le Syndicat international des travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce (TUAC) et Uber ont fait une annonce surprise. Le plus grand syndicat du secteur privé du pays et l’application de covoiturage avaient conclu un accord accordant à plus de 100 000 travailleurs l’accès à la représentation tout en préservant «la flexibilité de leur travail».

Un examen attentif de l’accord révèle que l’accord n’est pas la victoire pour les travailleurs qu’il semblait initialement être. C’est une victoire pour Uber et d’autres applications de plate-forme. En vertu de l’accord, les chauffeurs Uber ne deviendront pas réellement membres des TUAC ; ils pourront simplement accéder quelques représentation en cas de litiges relatifs à la rémunération et à la désactivation. Les chauffeurs Uber n’auront pas leur mot à dire dans l’élection de leur représentation. Cela viole l’engagement envers la démocratie, fondamental pour tout syndicalisme.

Uber Canada et les TUAC ont également convenu de « faire pression sur les gouvernements provinciaux pour qu’ils adoptent des réformes qui offrent de nouveaux avantages et préservent le choix des travailleurs quant au moment, au lieu et à l’opportunité de travailler ». Le choix ici est, bien sûr, un euphémisme pour la marque spéciale de précarité qu’Uber a excellé dans le marketing en tant que liberté. Plus récemment, l’entreprise a créé le terme Flexible Work+ pour son nouveau régime d’emploi précaire.

Il semble probable que cet accord soit, en fait, simplement un cheval de Troie par lequel l’entreprise cherchera à faire passer son modèle de travail à la demande dans les législatures provinciales. Si tel est le cas, nous devrions nous opposer fermement à l’accord. Le plan de travail trompeusement nommé d’Uber n’accorde de la flexibilité qu’aux patrons, ce qui affaiblit la position de négociation des travailleurs dans le processus.

Après le succès d’Uber en aidant à faire passer la Proposition 22 en Californie, une loi qui permettait aux entreprises basées sur des applications de classer leurs employés comme des entrepreneurs indépendants, ce n’était qu’une question de temps avant que des initiatives similaires migrent au nord de la frontière. Ce qu’Uber a appelé Flexible Work+ est une arnaque qui cherche à créer de manière permanente une nouvelle classification pour les travailleurs à la demande. Si elle était mise en œuvre, elle saperait la véritable organisation syndicale.

En 2020, la commission des relations de travail de l’Ontario a déclaré que les coursiers de Foodora étaient des entrepreneurs dépendants. Cette classification signifiait que les soi-disant travailleurs à la demande employés par des entreprises comme Uber avaient les mêmes droits que les employés. Flexible Work+, cependant, maintiendrait les travailleurs à la demande en dehors du Régime de pensions du Canada (RPC). Théoriquement, Uber pourrait remplacer l’accès au RPC par des fonds que les travailleurs auraient la possibilité de diriger vers des régimes d’épargne privés qui remplaceraient une assurance complémentaire pour les traitements non couverts par l’assurance-maladie canadienne, permettant aux fonds d’être utilisés pour des choses comme les soins dentaires.

Sans surprise, Flexible Work+ est très populaire auprès du Parti conservateur du Canada. Le comité consultatif sur la reprise de la main-d’œuvre du premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, a suggéré des changements au droit du travail qui présentent de nombreuses similitudes avec les propositions d’Uber. Lors de la dernière élection fédérale, l’ex-chef conservatrice Erin O’Toole a embauché un ancien lobbyiste d’Uber pour être son directeur des politiques. Sa plate-forme comprenait une proposition pour les travailleurs de concert qui était «copiée» des propositions d’Uber.

En mars 2021, le président des TUAC Canada, Paul Meinema, a décrit Flexible Work+ comme un « stratagème cynique » d’Uber pour « éviter toute conversation significative concernant les droits de leurs employés à la négociation collective ». Jusqu’à ce que tous les détails de l’accord soient publiés, il reste à voir jusqu’à quel point les TUAC ont renversé leur position sur cette question.

Jusqu’à présent, les détails de l’accord ne sont pas clairs. Cependant, le professeur de droit du travail David Doorey a observé que si Uber payait le syndicat pour la représentation des chauffeurs, alors l’accord violerait les lois contre les entreprises qui financent le travail organisé.

D’une valeur juridique tout aussi douteuse est le fait qu’en cas de véritable campagne de syndicalisation, l’accord semble accorder un traitement préférentiel aux TUAC. Il est toutefois interdit aux entreprises de favoriser clairement un certain syndicat par rapport à un autre. Encore une fois, l’accord complet devra être rendu public avant que les observateurs ne puissent vérifier sa légalité.

Des accords similaires conclus aux États-Unis n’ont pas apporté d’avantages appréciables aux travailleurs à la demande. Par exemple, à New York, l’Association internationale des machinistes et des travailleurs de l’aérospatiale (IAM) a collaboré avec Uber pour créer l’Independent Drivers Guild (IDG).

Le professeur de droit du travail Veena Dubal a souligné que les travailleurs n’élisent pas les dirigeants d’organisations comme l’IDG. Par un heureux hasard pour les employeurs, ces types d’organisations syndicales créées par l’entreprise émergent souvent lors de recrudescences d’organisations indépendantes par des travailleurs à la demande. Il en résulte que des accords de ce type agissent comme un frein à une organisation réelle.

Depuis sa création, l’IDG est confrontée aux interrogations des militants sur son autonomie. Les tentatives de la guilde pour atteindre un salaire minimum pour les travailleurs ont duré deux ans et, à la fin, Uber a quand même trouvé des moyens de contourner le changement de salaire. La guilde n’a pas non plus été en mesure d’obtenir un effet de levier dans la lutte contre les désactivations injustes. Enfin, l’IDG a apporté son soutien à la législation proposée à New York – la loi sur le droit de négocier – qui n’étendra pas le statut d’employé à part entière et les protections aux travailleurs de chantier.

L’accord TUAC provoque déjà des divisions au sein du mouvement syndical. Le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP), le syndicat le plus radical du pays, était déjà en train d’essayer de syndiquer les chauffeurs d’Uber et d’autres travailleurs précaires par le biais de son initiative Gig Workers United. Le STTP a publié une déclaration qui critique l’entente et s’est engagé à poursuivre ses efforts de syndicalisation.

L’accord des TUAC illustre la faiblesse du mouvement syndical du secteur privé au Canada. Alors que la densité syndicale de près de 30 % de la nation nord-américaine est souvent comparée favorablement à celle des États-Unis, la réalité est que ce chiffre est faussé par le solide taux de syndicalisation de 75 % du secteur public. Alors que la densité syndicale du secteur privé au Canada, à environ 15 %, n’est pas aussi grave qu’aux États-Unis (où elle oscille autour de 6 %), elle continue de décliner lentement mais régulièrement depuis le début du siècle.

Cette baisse a conduit certains syndicats à adopter des stratégies discutables. En 2007, alors qu’il était encore connu sous le nom de Travailleurs canadiens de l’automobile (TCA), Unifor, qui représente les travailleurs à la chaîne de montage, a conclu un accord qui ressemble beaucoup à l’accord entre les TUAC et Uber. Cet accord, connu sous le nom de « Cadre pour l’équité », a provoqué des querelles internes au sein des TCA et du mouvement syndical en général. Les travailleurs couverts par l’accord n’ont eu que peu d’apport démocratique dans les négociations et ont perdu le droit de grève. Les TCA, qui dans les années 1980 et 1990 ont retenu l’attention pour leur syndicalisme de justice sociale et leurs principes de négociation sans concessions, se sont repliés dans le corporatisme néolibéral.

Ces types d’ententes ne sont qu’un symptôme de ce qui fait vraiment souffrir le syndicalisme du secteur privé au Canada. Le principal problème est un manque de militantisme, comme en témoigne la tendance croissante des syndicats canadiens à s’en remettre aux tribunaux pour régler les conflits de travail. Au début des années 1980, lors de la rédaction de la Charte canadienne des droits et libertés, les syndicats se sont opposés à l’inclusion des droits du travail parce qu’ils ne croyaient pas que l’interprétation judiciaire jouerait en leur faveur.

Au fur et à mesure que les gouvernements néolibéraux provinciaux et fédéral adoptaient des lois antisyndicales, les syndicats se sont de plus en plus tournés vers les tribunaux pour les sauver. C’est en partie parce que la Cour suprême du Canada est devenue de plus en plus progressiste dans les années 2000. En 2015, il a même reconnu le droit de grève. Mais même une Cour suprême progressiste n’a pas stoppé le déclin de la densité syndicale dans le secteur privé.

L’accord entre les TUAC et Uber devrait être accueilli avec mépris par le mouvement syndical. Pour remporter à nouveau des victoires en milieu de travail, les syndicats canadiens doivent rejeter les ententes avec les employeurs qui ne mènent pas à une véritable syndicalisation. Nous devons construire des adhésions combattantes qui ont le pouvoir de faire venir les employeurs et les législateurs à la table de négociation. Cela nécessitera de l’éducation, de la sensibilisation et une organisation approfondie – pas des solutions rapides.



La source: jacobinmag.com

Cette publication vous a-t-elle été utile ?

Cliquez sur une étoile pour la noter !

Note moyenne 0 / 5. Décompte des voix : 0

Aucun vote pour l'instant ! Soyez le premier à noter ce post.



Laisser un commentaire