En avril 2021, le gouvernement du Parti conservateur uni (UCP) de Jason Kenney a officiellement dévoilé son plan pour transformer l’enseignement postsecondaire (EPS) dans la province de l’Alberta. La vision de l’UCP, exposée dans son initiative, Alberta 2030 : Développer des compétences pour l’emploiest une stratégie visant à lier l’EPS public aux priorités du secteur privé.

En décembre, l’UCP a modifié la Loi sur l’apprentissage postsecondaire avec le projet de loi 74, concrétisant le plan d’action contenu dans Québec 2030 — un plus grand mot à dire pour l’industrie, l’alignement des priorités en matière d’éducation sur celles des employeurs et la priorisation de la commercialisation de la recherche. Ces évolutions font suite à des années de profondes coupes budgétaires.

Le résultat de cet assaut est une montée en flèche des frais de scolarité des étudiants et une agitation ouvrière croissante. On dit aux professeurs et au personnel de travailler encore plus dur pour moins. Cependant, en raison des mandats de négociation secrets des employeurs constitutionnellement douteux du gouvernement UCP, les demandes des syndicats pour une rémunération adéquate ont été effectivement entravées. Alors que le budget de l’Alberta pour 2022 double l’attaque contre l’EPS public, il est temps pour les éducateurs, le personnel de soutien universitaire, les étudiants et les associations de professeurs de riposter.

Les leviers les plus puissants du gouvernement Kenney pour réorienter l’EPS sont l’austérité associée au financement basé sur la performance (PBF). Le premier, déployé sur quatre budgets UCP consécutifs et plus, laisse les institutions sur la bonne voie pour une réduction à couper le souffle de 20% des dépenses de fonctionnement financées par le gouvernement d’ici 2023-2024. Ces réductions s’élèvent à plus de 30% par étudiant équivalent à pleine charge, ce qui explique l’inflation et la croissance des inscriptions.

Les universités et les collèges sont sommés d’augmenter leurs inscriptions nationales et internationales lucratives pour compenser les réductions de financement tout en maintenant une pression à la baisse sur les coûts de main-d’œuvre. Ces exigences intensifient un modèle corporatiste et fondamentaliste du marché qui repositionne les étudiants en tant qu’investisseurs dans leur avenir. Le résultat est une éducation instrumentalisée, de plus en plus comprise comme n’étant rien d’autre qu’une partie composite de l’individualité entrepreneuriale.

Le financement basé sur la performance, introduit par l’UCP en 2020, est un nouveau bâton à manier pour les institutions financièrement affamées et prêtes à se conformer. Les universités sont obligées de ne donner la priorité qu’aux programmes qui mènent directement à un emploi postdiplôme dans un domaine connexe. Les universités sont également obligées de se concentrer sur la croissance, une croissance qui nécessite de plus en plus des sources de revenus privées.

L’adoption du projet de loi 74 a répondu à la question de savoir qui peut recommander les futurs objectifs de performance. Le Conseil consultatif du ministre sur l’enseignement supérieur et les compétences sera composé d’un maximum de neuf personnes nommées. Le projet de loi 74 ne donne aucune assurance d’un conseil indépendant ou démocratiquement responsable. Le conseil fera rapport au ministre de l’enseignement supérieur sur les orientations stratégiques pour l’EPS et les mesures pour le FBP. Cet arrangement est conforme à la tendance de l’UCP à commander des panels et des rapports qui reproduisent des objectifs prédéterminés. Ces processus d’examen du fait accompli sapent l’autonomie institutionnelle, la gouvernance démocratique partagée et la liberté académique.

Le budget de cette année fournit des carottes aux institutions qui manquent de financement, mais il y a un hic — ces carottes sont constituées de fonds destinés à des programmes privilégiés par le gouvernement. L’UCP présente également son plan de longue date visant à lier l’aide aux étudiants – déjà réduite par le gouvernement Kenney – aux priorités du gouvernement. Les nouvelles bourses pour les apprenants à faible revenu nécessiteront une inscription aux programmes que le gouvernement choisit de prioriser.

Les plans bien conçus de l’UCP ne sont pas des ajustements cosmétiques – ce sont des révisions de fond en comble. Presque immédiatement après la victoire électorale de l’UCP en 2019, le parti a purgé les membres publics des conseils d’administration. Dans de nombreux cas, les nouveaux membres du conseil d’administration occupent des postes de haut niveau dans des sociétés qui bénéficient directement de la réduction importante du taux d’imposition des sociétés de l’Alberta par l’UCP, qui, à 8 %, est maintenant de loin le plus bas parmi les provinces canadiennes.

Cette réduction d’impôt a aggravé le déficit structurel de longue date de la province en matière de revenus stables et a fourni une couverture douteuse aux réductions de financement. Les membres du conseil d’administration nommés par l’UCP justifient les coupes par des appels à la prudence budgétaire et votent à plusieurs reprises pour de fortes augmentations des frais de scolarité. Les augmentations des frais de scolarité en Alberta sont maintenant effectivement de 7 % par année en moyenne, mais ont augmenté jusqu’à 71 % dans certains cas. Ces augmentations, cependant, ne peuvent pas contrebalancer les coupes vicieuses de l’UCP dans l’EPS, laissant de nombreuses universités chercher des suppressions d’emplois et des réductions de salaire des professeurs et du personnel – dont un grand nombre sont employés de manière précaire dans des contrats d’enseignement à bas salaire, cours par cours.

Contrairement à leurs subordonnés sous-payés, les présidents d’université richement rémunérés de la province sont ardents Québec 2030 pom pom girls. Le président de l’Université de l’Alberta fait régulièrement écho aux points de discussion de l’UCP. Le président de l’Université de Calgary Croissance par la concentration plan rejette le financement, recherchant plutôt la croissance par le biais d’une approche « entrepreneuriale » qui s’appuie sur des partenariats avec le secteur privé. La chancelière de l’Université Mount Royal, qui, au moment de sa nomination en 2020, était PDG de TransAlta, une compagnie d’électricité de l’Alberta, décrit l’EPS comme un investissement qui devrait démontrer un rendement économique.

Pour ces administrateurs, jumeler les jeunes Albertains aux emplois est l’objectif numéro un d’une université. Un engagement envers la réussite des diplômés, en soi, n’est pas une mauvaise chose. Mais dans l’intérêt de maintenir la santé multiforme de l’éducation, il convient de se demander si la préparation à l’emploi devrait être l’objectif principal des porte-drapeaux universitaires. C’est particulièrement le cas dans une province où cet engagement implique de doubler les liens véhiculés par le gouvernement entre les entreprises et l’université.

Soyons clairs : il n’y a jamais eu d’âge d’or d’éducation postsecondaire parfaite. L’histoire de l’enseignement supérieur est impliquée dans la reproduction d’ordres économiques et sociaux inéquitables, le colonialisme, etc. Les universités canadiennes sont aux prises avec les mêmes problèmes de pouvoir, d’exploitation et d’injustice qui sont présents dans les sociétés dans lesquelles elles sont intégrées. Cela ne signifie pas, cependant, qu’il ne s’agit pas d’institutions de grande valeur et prometteuses qui valent la peine d’être défendues et améliorées.

La transformation actuelle des universités et des collèges en usines qui répondent aux demandes du secteur privé est un sujet de grave préoccupation. Les universités doivent être de véritables ressources publiques, rendues universellement accessibles aux tout membres de nos communautés. Laisser les domaines d’études être dictés par les besoins du marché revient à entraver la curiosité intellectuelle. La poursuite des études ne devrait pas dépendre du fait que les patrons pensent qu’une discipline donnée en vaut la peine ou non.

Bien sûr, les établissements d’EPS doivent s’engager auprès de leurs communautés. Une bonne éducation et une bonne érudition ne sont pas des efforts insulaires. Cependant, le PSE perd sa valeur la plus profonde lorsqu’il est subordonné au diktat du lien monétaire. La pensée critique, préoccupation cardinale de PSE, implique la capacité de considérer le monde tel qu’on le trouve, de le critiquer, d’imaginer et d’articuler en quoi il pourrait être différent. La pensée critique ne peut exister sans autonomie et capacité d’action — les mêmes qualités qui sont étouffées par les approches instrumentalistes de l’EPS.

Le quiétisme ouvrier en Alberta a été favorisé par un modèle de relations de travail de longue date qui est attaché à un syndicalisme d’entreprise dépolitisant. Mais les attaques de l’UCP sont si belliqueuses qu’elles semblent presque conçues pour provoquer une réponse organisée. En effet, la paix sociale du PSE en Alberta semble toucher à sa fin. Une décision de la Cour suprême du Canada en 2015 a statué que la législation sur les services essentiels – qui empêche les employés du secteur public de faire la grève – était inconstitutionnelle. Récemment, le personnel universitaire a décidé de faire usage de ce droit de grève. Une grève de douze jours a eu lieu à l’Université Concordia d’Edmonton au début de cette année, suivie d’une grève plus longue à l’Université de Lethbridge en mars. L’organisation à grande échelle et la construction de la solidarité sont en hausse.

L’UCP a réduit le soutien public à l’EPS et a habillé ces coupes dans une rhétorique qui célèbre «l’innovation». Le résultat a lié l’enseignement supérieur aux besoins économiques de quelques puissants. Ces changements sont contraires au bien public. Les éducateurs, le personnel de soutien universitaire et les étudiants doivent se battre pour récupérer nos universités publiques.



La source: jacobinmag.com

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