Charles Michel, président du Conseil européen, annoncé le 19 novembre qu’en marge du sommet du partenariat oriental qui se tiendra à Bruxelles le 15 décembre, il y aurait une rencontre entre le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev et le Premier ministre arménien Nikol Pashinyan. Cette annonce bienvenue fait suite à une période de tensions aggravées entre les deux pays en raison de affrontements militaires sur leur frontière commune mais indéfinie.

Naturellement, chaque camp a blâmé l’autre pour ces nouveaux affrontements. Il existe cependant des éléments en dehors de la région qui expliquent en grande partie pourquoi ils ont éclaté à ce moment particulier et la dynamique politique qui les sous-tend. Laissez-moi expliquer.

Il existe une tendance, parmi les analystes et observateurs européens et américains, à considérer l’Arménie comme un acteur politique « unitaire » et à réifier son comportement en la personne de son Premier ministre. Il s’agit d’un raccourci compréhensible que même des journalistes avertis et des politologues professionnels emploient pour de nombreux États. Par exemple, « Poutine » est parfois utilisé comme une personnification abrégée ou un espace réservé (techniquement, une synecdoque, où une partie représente le tout) pour signifier le comportement de la Russie dans la géopolitique énergétique internationale pour l’Union européenne.

Dans le cas de l’Arménie, c’est une erreur. Il n’est pas suffisamment reconnu ou compris que Pashinyan fait l’objet d’attaques internes continuelles par une coalition qui refuse de reconnaître la perte du pays lors de la deuxième guerre du Karabakh. Cette coalition, qui s’étend au-delà du territoire de l’État arménien proprement dit, cherche en effet à préparer une troisième guerre du Karabakh pour reprendre les territoires azéris qui ont été occupés pendant 30 ans et les re-nettoyer ethniquement des Azéris tout comme a été fait pendant la première guerre du Karabakh au début des années 90.

Cette coalition pro-guerre a trois composantes principales. Le premier est le “Clan du Karabagh» comprenant les anciens présidents Robert Kocharyan (1998-2008) et Serge Sarkissian (2008-2018) ainsi que tous leurs partisans, clients politiques et fonctionnaires actuels de l’État avec lesquels ils ont semé l’intégralité de l’appareil d’État arménien au cours des 20 années de leur écrasement politique. hégémonie.

La deuxième composante de cette coalition pro-guerre est le Corps des gardiens de la révolution islamique (IRGC) d’Iran, qui a atteint son “soft coup» contre l’élite théocratique ou « mollahocratie » il y a plusieurs années. La coopération entre le complexe militaro-industriel arménien et les producteurs de systèmes d’armes liés au CGRI a augmenté de façon marquée l’année dernière, avec l’aide financière de la diaspora arménienne.

La troisième composante est la diaspora arménienne. Il est impossible de mesurer précisément sa taille globale. Les estimations utilisant des définitions et des méthodologies différentes vont de trois à onze millions. Une estimation juste se situe probablement entre six et sept millions. C’est plus du double du nombre d’Arméniens en Arménie même.

Plus de la moitié de la diaspora réside dans trois pays : la France, la Russie et les États-Unis. Le nombre en Russie (estimé par Poutine en 2020 à « plus de deux millions ») est environ deux fois plus élevé qu’en France et aux États-Unis, ces deux derniers étant à peu près égaux.

Il est bien connu que les membres de la diaspora ont longtemps été très influents politiquement en France et aux États-Unis (il est moins connu que la Russie n’est pas différente à cet égard.) Les organisations officielles de la diaspora en Occident sont généralement hyper-militant et maximaliste dans leur programme et leurs revendications, déclarant catégoriquement qu’ils ne veux pas la paix.

Mais la guerre est la politique étrangère du fascisme. Il est possible de voir des similitudes troublantes entre les exhortations belliqueuses de certaines organisations de la diaspora et le programme de collaboration documentée par la Fédération révolutionnaire arménienne (Dashnaktsutyun, le parti politique de Sarkissian, sous la bannière de laquelle Kocharyan s’est présenté aux élections législatives en 2021) avec Adolf Hitler et son régime national-socialiste pendant la Seconde Guerre mondiale.

Il est important aujourd’hui de comprendre qu’il existe une coopération explicite entre la diaspora arménienne, l’IRGC iranien et le clan du Karabakh dans la politique intérieure arménienne. Cette coopération explique les récents affrontements militaires que j’ai évoqués au début de cet article, et de la manière suivante.

Pashinyan ne contrôle pas l’ensemble de l’appareil d’État arménien. Depuis sa première élection en 2018 et sa réélection en 2021, il réussit petit à petit à installer des personnes qui lui sont fidèles pour remplacer les clients du clan Karabakh. Il semble avoir pris un certain contrôle sur le ministère des Affaires étrangères, nommant également de nouveaux ambassadeurs ; et les services de sécurité de l’État semblent dans l’ensemble lui être fidèles.

Il a cependant encore un long chemin à parcourir. Malgré l’arrestation de deux ministres de la défense successifs pour corruption et la mise en place d’un nouveau ministre de la défense il y a quelques jours à peine, qui est un loyaliste pashinyan, des portions importantes non seulement du ministère de la Défense mais aussi des formations militaires de l’armée elles-mêmes restent dans la poche du clan du Karabakh.

À la mi-novembre, le Congrès américain a entamé l’examen final de la National Defense Authorization Act (NDAA). Le lobby arménien à Washington et ses alliés dans les deux chambres du Congrès ont poussé amendements à la NDAA cherchant à refuser diverses formes d’aide et d’assistance du gouvernement américain à l’Azerbaïdjan, y compris même une assistance non militaire. Le clan du Karabakh et leurs associés dans l’armée arménienne ont programmé les affrontements à la frontière avec l’Azerbaïdjan pour un effet maximal sur cet effort de lobbying ; ils ont réussi.

Le résultat est contraire aux intérêts tant européens qu’américains. L’Arménie reste un allié de l’Iran et un client de la Russie. Il coopère avec les autres clients de l’Iran au Moyen-Orient, y compris des acteurs terroristes non étatiques comme le Hezbollah. Même des observateurs militaires en Russie accuser réception que le développement pacifique de l’Arménie est nécessaire à la sécurité russe. En effet, une reprise de la guerre ne ferait qu’accroître l’instabilité politique dans le Caucase du Sud, tout en offrant à l’Iran davantage d’opportunités d’utiliser son alliée l’Arménie afin de pénétrer davantage dans la région, contrairement aux intérêts de la Russie.

Il est extrêmement important que la rencontre entre Aliyev et Pashinyan à Bruxelles ne soit pas une simple séance de photos. Il serait utile qu’elle soit bien préparée que les dirigeants soient accompagnés d’entourages importants capables de parler franchement et de prolonger les discussions selon les besoins.

Le Premier ministre arménien Nikol Pashinyan.

Peut-être surtout, le président du Conseil européen devrait-il envisager d’inviter les deux dirigeants à le rencontrer brièvement avant les laissant seuls ensemble dans une conversation en tête-à-tête aussi longtemps qu’ils le souhaitent. Ce serait la première fois qu’une telle rencontre entre les deux chefs aurait lieu. C’est quelque chose que même pas l’OSCE Groupe de Minsk ont pu s’arranger.

Cette opportunité diplomatique ne doit pas être gâchée. Les discussions entre les deux parties pourraient se poursuivre ailleurs qu’à Bruxelles. Pashinian a été forcé par des pressions politiques internes pour annuler une réunion à Moscou au début du mois qui aurait été négociée par la partie russe.

Cette réunion aurait cherché à nouveau à mettre en œuvre le neuvième point de la déclaration trilatérale du 10 novembre 2020, concernant l’ouverture des liaisons de communication et de transport entre les deux pays. A l’ordre du jour de cette réunion figurait également le lancement du processus de délimitation de la frontière internationale entre les deux pays, sur la base des règles militaires soviétiques Plans en possession du ministère russe de la Défense.

En provoquant les récents affrontements armés et en soulevant en même temps la population arménienne contre l’Azerbaïdjan, le « parti de la guerre » à Erevan – qui comme je l’ai expliqué va au-delà d’Erevan à Téhéran et à la diaspora arménienne à Moscou, Paris et Washington – a réussi à impossible pour Pashinyan de tenir son engagement d’assister à cette réunion à Moscou et de lancer enfin ces processus de rétablissement de la paix.

Le parti de la guerre veut avant tout faire un traité de paix impossible. Un tel traité impliquerait la reconnaissance mutuelle de l’intégrité territoriale et la délimitation de la frontière internationale. De cette façon, signifier la fin des revendications territoriales de l’Arménie contre l’Azerbaïdjan compliquerait gravement la collecte de fonds par les organisations officielles de la diaspora pour la poursuite de la guerre (et leurs propres salaires).

La coalition (1) des organisations officielles et des représentants de la diaspora arménienne, (2) du CGRI iranien et (3) du clan du Karabakh à l’intérieur de l’Arménie est la plus grande menace pour la paix dans la région. Si le Partenariat oriental – en fait, si l’Union européenne – veut faire la différence, alors il doit reconnaître cette réalité et adopter des politiques vraiment efficaces pour promouvoir la paix en faveur de Pashinyan, mais aussi d’Aliyev dans une égale mesure, et contre le danger que l’Arménie devienne un État défaillant. Sinon, l’UE se retrouvera en Arménie avec un État évidé qui est l’otage d’un groupe terroriste, qui est, à son tour, redevable au CGRI iranien : comme le Liban.

La source: www.neweurope.eu

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