“Travail. Métro. Grave.” Macabre mais astucieux, le slogan a orné des banderoles et des pancartes portées par des millions de travailleurs français manifestant contre les projets du président Emmanuel Macron d’augmenter l’âge officiel de la retraite de 62 à 64 ans. Le slogan résume en trois mots ce que les travailleurs français ressentent à l’idée d’avoir deux ans de repos. et les loisirs volés et remis aux patrons.

“Je ne veux pas prendre ma retraite quand je suis six pieds sous terre”, a déclaré Rose, une femme de ménage de 60 ans lors d’une manifestation en février à Albi, dans le sud de la France, à un journaliste. « Comment pourrais-je faire ce métier à 64 ans ?

Marianne, une cuisinière marseillaise, a déclaré aux médias lors d’une autre manifestation : « Nous ne sommes pas des radicaux, mais nous pensons que tout doit être bloqué car, malgré les manifestations et les grèves, nous ne sommes toujours pas entendus. Dans nos métiers, on ne peut pas les faire à 64 ans ou plus ».

Des travailleurs de tous les syndicats, secteurs et industries ont fait grève et manifesté depuis l’annonce par la Première ministre Élisabeth Borne, le 10 janvier, que le gouvernement prévoyait de relever l’âge de la retraite de deux ans. Lors du récent pic du mouvement le 11 février, 2,5 millions de travailleurs ont manifesté contre les changements dans des centaines de villes et communes à travers la France. Désormais, le mouvement a les yeux rivés sur une grève générale, prévue le 7 mars.

Les aéroports, les chemins de fer et la logistique ont été perturbés, les raffineries ont été fermées, les écoles fermées et certaines universités occupées. En effet, non seulement des travailleurs mais aussi des lycéens et des étudiants ont formé des contingents et défilé dans les manifestations. Dans la première semaine de février, 200 lycées et une quinzaine d’universités se sont mobilisés, et bien d’autres ont protesté depuis. Un slogan populaire sur les pancartes des jeunes est : « Vous nous donnez 64, nous vous donnerons mai 68 », rappelant la rébellion révolutionnaire étudiante et ouvrière du siècle dernier.

Une nette majorité de personnes, 67%, s’opposent aux attaques de Macron, selon le média CNEWS, contre 61% dans un sondage en janvier. Un autre sondage réalisé par le média indépendant Politis a montré que 68 % soutiennent abaissement l’âge de la retraite à 60 ans.

Alors que le projet de loi sur l’augmentation de l’âge de la retraite est débattu à l’Assemblée nationale, Macron et ses ministres disent que ce changement “indispensable” relève de l’équité et du pragmatisme : si tout le monde cotise dans deux années de travail supplémentaires, le gouvernement peut éviter un € 150 milliards de déficit, ce qui non seulement mettrait en faillite le système de retraite français mais aussi, potentiellement, menacerait de faire dérailler l’économie française.

Pourtant, comme le notent de nombreux commentateurs, le déficit cumulé est largement surestimé et les rumeurs de faillite sont largement exagérées.

Si le changement proposé de l’âge de la retraite visait à équilibrer les comptes, il existe d’autres options, telles que la réorientation des fonds d’autres dépenses vers le système de retraite. Par exemple, l’État français fournit environ 200 milliards d’euros par an au secteur privé. Réduire les concessions et les subventions aux capitalistes ferait plus que compenser tout déficit des retraites.

La bataille sur l’augmentation de l’âge de la retraite consiste plutôt à façonner le monde du travail et à insuffler une attitude « travail-métro-grave » aux travailleurs français. Prenez le ministre de l’Intérieur de Macron, Gérald Darmanin, qui a accusé la gauche d’avoir un “profond mépris pour la valeur du travail”. Il pestait contre “ceux qui pensent qu’il faut travailler de moins en moins et défendre le droit à la paresse”. Darmanin a également pointé du doigt le leader de gauche Jean-Luc Mélenchon, qui, selon lui, appelle à “une société sans travail, sans effort”.

La France est réputée pour sa protection des droits et des conditions des travailleurs, de sa semaine de travail de 35 heures à son âge de la retraite relativement bas. Pourtant, ces gains, pour lesquels le mouvement ouvrier s’est battu dans le passé, sont sapés et rognés, sinon par la loi, du moins par la pression des employeurs. Pour de nombreux travailleurs français, la semaine de travail de 35 heures est un mythe. La plupart consacraient 37 à 40 heures par semaine, sinon plus.

Vu de l’extérieur de la France, il peut sembler curieux qu’une augmentation de deux ans de l’âge de la retraite inspire certaines des plus grandes manifestations de l’histoire récente. Comparez la situation avec l’Australie, par exemple, où l’âge de la retraite pour tous sera relevé à 67 ans en juillet, une décision qui n’a suscité qu’un souffle d’opposition de la part du Conseil australien des syndicats.

Ce que la France montre, c’est qu’un mouvement syndical combatif, avec une histoire de lutte et déterminé face à l’opposition officielle, a le potentiel d’inspirer des masses de travailleurs à riposter. En 2019-2020, les travailleurs français ont repoussé une autre des modifications proposées par Macron au système de retraite, la pandémie forçant à la fois les travailleurs et le gouvernement dans une impasse. Avant cela, c’était le mouvement des “gilets jaunes”, qui a remporté de modestes victoires contre une proposition de Macron d’augmenter le prix du carburant.

Malgré sa démonstration de militantisme, il y a un débat sur la voie à suivre pour le mouvement actuel. Avec une baisse notable du nombre de grévistes lors de la dernière manifestation du 16 février, certains sont pessimistes quant à la réussite de la mobilisation du 7 mars. Alors que les dirigeants syndicaux soutiennent la manifestation, ils se sont abstenus d’appeler à une large grève générale continue.

Pourtant, les arrêts, les grèves et les blocages en cours sont précisément ce qu’il faut pour forcer Macron à prêter attention. « L’État ne se soucie pas des manifestations. Maintenant, il faut bloquer », a déclaré Laurent, un cheminot lors d’une manifestation parisienne à un journaliste. La stratégie de Macron et Borne est de surmonter cette vague de mécontentement et de rassembler suffisamment de votes à l’Assemblée nationale pour faire passer l’attaque des retraites.

Mais ce n’est pas encore chose faite : le parti de Macron a perdu sa majorité lors des dernières élections. Les partis de gauche sont unis dans leur opposition, et l’ampleur de l’hostilité publique oblige même le centre droit – qui a relevé l’âge de la retraite la dernière fois qu’il était au pouvoir – à reconsidérer son soutien.

La France continue de servir de rappel du pouvoir que détiennent les travailleurs. Lorsque les travailleurs se déplacent, la société s’arrête. La France montre également comment les manifestations et les grèves créent la confiance et un sentiment d’utilité collective. Comme l’a écrit Annie Ernaux, lauréate du prix Nobel de littérature 2022, dans Le Monde diplomatiqueun mensuel français :

“[Those] les manifestants de janvier 2023, si nombreux qu’ils peinent à sortir de la place de la République, me rappellent une fois de plus les vers de Paul Éluard : “Ils n’étaient que quelques-uns/ Sur toute la terre/ Tout le monde se croyait seul/ Ils étaient soudain une foule’. Je tiens à les remercier. Arrêtons de baisser la tête.

Source: https://redflag.org.au/article/french-workers-raise-their-heads-again

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