Écrivant depuis Paris, Colin Fauconnier explique le contexte du récent soulèvement à Kanaky/Nouvelle-Calédonie et soutient que les manifestants ont raison de résister à l'impérialisme français.

Des indépendantistes kanak lors de la manifestation du 1er mai à Paris. Photo de Colin Falconer.

Cet article a été initialement publié dans The Left Berlin.

Le 15 mai, le gouvernement français a déclaré l'état d'urgence dans le territoire semi-autonome d'outre-mer de Nouvelle-Calédonie, situé à 1 400 kilomètres à l'est de l'Australie (17 000 kilomètres de Paris). Un peu plus tôt, le haut-commissaire français avait qualifié la situation là-bas d'« insurrectionnelle », tandis qu'un ancien ministre et député local parlait de « guerre civile » inspirée par le « racisme anti-blanc ».

Des émeutes de grande ampleur ont eu lieu plusieurs nuits, principalement dans le Grand Nouméa, la capitale, qui abrite les deux tiers des 270 000 habitants du territoire. Des dizaines de magasins et autres propriétés ont été incendiés, tandis que les rues sont jonchées de véhicules incendiés. Un porte-parole du gouvernement a admis que certaines zones étaient « hors de contrôle ».

Les forces de sécurité, à l'aide de bulldozers et de véhicules blindés, détruisent progressivement les barricades mais nombre d'entre elles sont reconstruites dès leur départ.

Au moment où nous rédigeons ces lignes, 600 policiers, gendarmes et membres des forces spéciales d'élite tentent de dégager la route stratégique menant à l'aéroport où jusqu'à 80 barricades ont été érigées. Tous les vols commerciaux sont annulés jusqu'à nouvel ordre, même si l'Australie et la Nouvelle-Zélande ont envoyé des avions militaires pour évacuer leurs citoyens.

Les habitants des quartiers principalement européens ont organisé des groupes d'autodéfense armés (ou « d'autodéfense »). De nombreux émeutiers indigènes kanak sont également armés. Il y a eu jusqu'à présent six morts, dont un gendarme tué par des tirs « amis ».

Comme on pouvait s'y attendre, Macron a affirmé que la révolte avait été fomentée par une « ingérence étrangère » – de l'Azerbaïdjan en particulier ! Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a pointé du doigt la CCAT (Unité de coordination des actions de terrain), une coalition récemment constituée de partis, de syndicats et d'associations, en l'accusant d'être une « mafia ».

Pourtant, la cause la plus évidente de la révolte réside dans deux décisions prises récemment par Macron lui-même, comme nous le verrons plus tard.

Alors, quel est le contexte de cette crise, la dernière en date dans les territoires d'outre-mer français troublés – et problématiques – qui s'étendent des Caraïbes au Pacifique en passant par l'océan Indien ?

Histoire coloniale

Après avoir été revendiquée pour la France en 1853, la Nouvelle-Calédonie a été pendant des décennies la plus grande colonie pénitentiaire du pays. Jusqu'à 22 000 prisonniers y furent envoyés – non seulement des criminels de droit commun, mais aussi des déportés politiques, notamment des rebelles algériens et des survivants de la Commune de Paris de 1871 (le plus célèbre étant Louise Michel, devenue une championne des Mélanésiens indigènes).

Mais l'objectif de la France était d'établir une colonie de peuplement dans le sud-ouest du Pacifique en plus de ses possessions polynésiennes plus à l'est. La Nouvelle-Calédonie est exploitée pour ses ressources naturelles, mais l'intérêt de la France est aussi militaire et géopolitique. Ce petit territoire insulaire est le troisième producteur mondial de nickel, après l'Indonésie et les Philippines. Et une forte présence française dans la région est considérée comme un contrepoids utile à l’influence croissante de la Chine.

Comme en Algérie, en Afrique subsaharienne et en Indochine, les peuples autochtones ont été soumis au régime colonial draconien de la France et leurs terres ont été confisquées. Ils étaient principalement confinés aux villages dirigés par des chefs « tribaux » selon le droit coutumier. Les Kanaks se sont vu refuser la citoyenneté jusqu’en 1953.

Le développement économique, en particulier le boom du nickel d'après-guerre qui a attiré des immigrants du Japon, du Vietnam, de Java, de Polynésie ainsi que de France, combiné aux conditions attractives offertes aux expatriés, a entraîné une inégalité croissante, une concentration des richesses dans la province du sud (qui inclut Nouméa) et une évolution significative de l’équilibre démographique. La part des Kanak dans la population est désormais tombée à 41 pour cent.

La société kanak n’est cependant pas en reste. Les jeunes Kanaks, et les femmes en particulier, de plus en plus politiquement conscients et instruits, sont fiers de leur culture et engagés en faveur de l'indépendance. De nombreux Kanak travaillent dans les mines de nickel. Il existe un syndicat puissant, l'UTSKE, auquel est associé un parti travailliste.

Les gouvernements régionaux des zones à prédominance kanak du nord et des îles périphériques ont bénéficié de pouvoirs décentralisés, notamment d'une part dans l'exploitation minière du nickel.

Aujourd’hui, la moitié des Kanak vivent dans la région du Grand Nouméa, la plupart dans des banlieues où sévissent la pauvreté et le chômage. La ville elle-même est connue sous le nom Nouméa la Blanche (Nouméa blanche) en raison de sa population majoritairement blanche.

Soutien à l'indépendance

Il est important de noter que la grande majorité des Kanak soutiennent le mouvement indépendantiste et ont récemment été rejoints par de nombreux migrants des îles du Pacifique. Les loyalistes blancs néo-calédoniens ont traditionnellement voté pour les partis conservateurs de droite, tandis que Marine Le Pen a obtenu 50 pour cent au deuxième tour de l'élection présidentielle de 2022 à Nouméa.

Dans ce contexte, la crise actuelle a été déclenchée par un changement radical de politique gouvernementale. Après le conflit sanglant de quatre ans qui a secoué Kanaky-Nouvelle-Calédonie dans les années 1980, faisant près d'une centaine de morts, un accord soigneusement négocié a été trouvé entre les partis indépendantistes et le gouvernement socialiste.

En infériorité numérique et confrontés à toute la puissance de l'État français, les dirigeants kanak ont ​​opté pour une stratégie de changement progressiste menant soit à une indépendance totale (ce qui reste leur objectif), soit au moins à une forme « d'indépendance en association avec la France ».

Cet accord tant salué a été suivi d’une période de 30 ans de relative stabilité. Des emplois ont été créés et les Kanaks promus, des infrastructures construites et l'histoire et la culture kanak ont ​​été reconnues. Les partis indépendantistes dirigent désormais deux des trois régions – les plus pauvres et les moins peuplées – et contrôlent une partie de l’industrie du nickel en partenariat avec des capitaux privés.

Selon l'accord, trois référendums sur l'indépendance devaient avoir lieu après une période de transition de 30 ans. Surtout, les nouveaux arrivants et les expatriés ne devaient pas être autorisés à voter aux élections au parlement provincial, « gelant » ainsi l'équilibre démographique (dans lequel, rappelons-le, les Kanaks étaient encore en infériorité numérique).

Lors du deuxième référendum, en 2020, le soutien à l’indépendance est passé de 44 à 47 pour cent. Pourtant, dans le même temps, l’opinion « loyaliste » se durcissait.

Le vote fixe de Macron

C’est à ce moment-là que Macron a levé la main. Tout d'abord, il a décidé de procéder rapidement au troisième et « dernier » référendum dans l'espoir de clore le débat. Le vote a été boycotté par les Kanaks, dont les communautés pleuraient toujours les victimes de la pandémie de Covid. Le boycott a été extrêmement efficace et a abouti à une majorité de 96 pour cent contre l'indépendance (puisque les Français ont voté majoritairement blancs). Les dirigeants kanak ont ​​affirmé que le résultat était illégitime, tandis que Macron l'a présenté comme un vote définitif en faveur de « Kanaky en France ».

Ignorant les avertissements d'un probable affrontement, Macron et Darmanin ont alors adopté une loi constitutionnelle destinée à permettre à ceux qui étaient installés sur le territoire depuis 1998 de voter aux élections au parlement provincial (après dix ans de résidence), qui dispose actuellement d'un pouvoir pro -majorité indépendantiste.

Dans les semaines qui ont précédé la décision du Parlement français, des manifestations massives et pacifiques ont eu lieu à Kanaky, tandis que les représentants faisaient pression sur les députés français. Ils étaient soutenus par la majeure partie de la gauche française et plusieurs élus des départements et territoires d’outre-mer, de la Guadeloupe aux Caraïbes jusqu’à la Polynésie française. Il y a eu également un impressionnant bloc kanak lors de la traditionnelle marche du 1er mai à Paris.

Le 14 mai, les députés de Macron, soutenus par la droite conservatrice et Marine Le Pen Rassemblement National (RN), a voté pour le changement des règles électorales, avec le groupe d'opposition de gauche NUPES (le parti de Jean-Luc Mélenchon France Insoumise, communistes, écologistes et socialistes) votant contre. Le résultat était malheureusement joué d’avance.

Pendant ce temps, à 17 000 kilomètres du Parlement français, les autorités de Nouvelle-Calédonie ont imposé un couvre-feu et procédé à des centaines d'arrestations, tandis que le FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste) a appelé ses militants à lever les barrages routiers pour permettre l'acheminement des fournitures essentielles. La colère dans la rue est telle que cela pourrait avoir peu d’effet.

Macron dispose encore d’une marge de manœuvre puisque la loi n’a pas encore été ratifiée. On ne sait pas à quel point il est prêt à faire preuve de flexibilité. Derrière cette décision se cache une stratégie destinée à plaire à l'électorat conservateur et d'extrême droite en France, où son parti est loin derrière le Rassemblement National de Le Pen dans la campagne pour les élections européennes. C’est peut-être aussi un message adressé aux autres puissances et challengers potentiels que l’impérialisme français n’a pas l’intention de réduire son rôle dans la région comme cela s’est produit récemment dans plusieurs anciennes colonies africaines.

C’est une stratégie qui peut encore se retourner contre nous.

MISE À JOUR MERCREDI 22 MAI

Dans un geste sans précédent, Macron, accompagné de trois ministres du gouvernement, s’est rendu en personne par avion en Nouvelle-Calédonie. Pour l’instant, on ne sait pas exactement comment il espère résoudre la crise.


Mise à jour rs21, 2 juin : Macron a depuis suspendu le troisième référendum, mais a menacé de soumettre les modifications au vote en France, ce qui ne fera rien pour résoudre les tensions sous-jacentes.

La source: www.rs21.org.uk

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