Les Grecs ont enfin compris qu’en dépit d’une période de calme relatif, la Turquie n’est pas près d’abandonner son comportement affirmé à l’Est de la Méditerranée. De plus, les négociations face à face n’ont abouti à rien et il devient évident pour la Grèce que s’appuyer sur la volonté de la Turquie de négocier de bonne foi peut être une proposition risquée, surtout si la Grèce n’a pas d’autres cartes sérieuses à jouer.

La Turquie semble avoir sa propre interprétation unique du droit international, adaptée à ses propres exigences. Il s’en sert pour créer des situations de fait accompli, à partir desquelles il propose ensuite de « négocier ». Un dessin animé dans The Economist l’année dernière décrit avec justesse les défis.

Les deux pays ont failli entrer en guerre à plusieurs reprises, notamment au cours du second semestre de l’année dernière au sujet de la délimitation du plateau continental à l’Est de la Méditerranée, dans une zone perçue comme détenant des gisements d’hydrocarbures.

Les tensions ont refait surface plus récemment, le président Recep Tayyip Erdogan déclarant à plusieurs reprises que la Turquie poursuivrait ses recherches de gaz dans la Méditerranée orientale. Fin septembre, la marine turque a chassé le navire de prospection italien Géo nautique qui arpentait le tracé du gazoduc EastMed – un projet financé par la Commission européenne – dans les eaux internationales entre la Crète et Chypre. La Turquie a affirmé que la zone faisait partie de son plateau continental en vertu de son mémorandum maritime avec la Libye, même si cela n’est reconnu par personne d’autre. Cela rappelle les actions belligérantes de la marine turque en février 2018 lorsqu’elle a empêché de force la plate-forme de forage d’ENI d’atteindre le bloc 3 dans la ZEE de Chypre.

La Turquie menace également de répéter ses propres études dans la ZEE de Chypre si ExxonMobil poursuit son forage d’évaluation prévu dans le bloc 10 d’ici la fin de l’année.

Ce sont ce type d’actions de la Turquie qui ont conduit la Grèce à reconsidérer ses capacités de défense, au moment où les deux pays sont censés négocier une solution à leurs problèmes. C’est ce qu’envisageait le plan Borrell, approuvé par les dirigeants européens en mars de cette année. Il reconnaissait que les actions turques dans l’Est de la Méditerranée remettaient directement en cause les droits de Chypre sur sa ZEE et les droits maritimes de la Grèce dans la région et prévoyait une désescalade des tensions dans l’Est de la Méditerranée grâce à la cessation des activités de forage illégales par la Turquie et le reprise des pourparlers bilatéraux entre la Grèce et la Turquie. En particulier, le plan exigeait de la Turquie qu’elle s’abstienne de toute nouvelle action unilatérale en violation du droit international.

Le plan était également clair sur la délimitation de la ZEE et du plateau continental. Celles-ci « devraient être traitées par le dialogue en vertu du droit international, y compris la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, et si aucune solution n’est trouvée, cette question devrait être soumise à la Cour internationale de justice de La Haye ». De toute évidence, il n’a pas progressé et, si quelque chose, il a régressé.

Le 14 octobre, le ministre grec des Affaires étrangères Nikos Dendias et le secrétaire d’État américain Antony Blinken ont signé l’Accord de coopération de défense mutuelle entre les États-Unis et la Grèce. Blinken a commenté que cela approfondit l’alliance entre les deux pays. Dendias n’a pas mâché ses mots lorsqu’il a déclaré que la Grèce faisait face à la « menace de guerre », même dans l’exercice de ses droits souverains.

Cela a été précédé fin septembre par un accord de défense stratégique sans précédent entre la Grèce et la France qui cimente leur relation étroite en évolution. Il prévoit l’acquisition de trois frégates de défense et d’intervention pour la marine hellénique pour 2,9 milliards d’euros, avec une option pour une quatrième, ainsi que 24 avions de combat Rafale.

Pour la première fois, un tel accord associe deux membres de l’OTAN pour se soutenir mutuellement lors d’une attaque sur le territoire de l’un ou de l’autre, même si elle provient de l’intérieur de l’alliance. Le Premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis, a déclaré : « La défense des intérêts européens en Méditerranée acquiert désormais une nouvelle substance… S’il est attaqué, notre pays aura à ses côtés l’armée la plus puissante du continent, la seule puissance nucléaire européenne.

Pour la France, il s’agissait d’une victoire importante après la débâcle de son contrat de sous-marins avec l’Australie.

La France et la Grèce voient dans cet accord les prémices d’une politique étrangère et de défense européenne indépendante. La Grèce, à travers ces pactes de défense et son programme d’armement en expansion, renforce sa capacité à contrer les menaces turques, mais ceux-ci ne remplacent pas les négociations et les solutions politiques.

Mitsotakis le reconnaît. Il a déclaré à la 76e Assemblée générale des Nations Unies : « J’ai une vision pour la Méditerranée orientale. Au lieu de livrer les batailles du siècle dernier sur les hydrocarbures, une matière première en déclin, nous devons unir nos forces pour coopérer contre de nouveaux ennemis communs – la crise climatique qui affecte nos deux pays de manière égale, mais aussi la menace de migration illégale.

La voie à suivre dans l’Est de la Méditerranée reste tendue. Ce qu’il faut, c’est une solution aux problèmes par la négociation. Cela exige un respect mutuel entre tous les acteurs clés, des moyens pacifiques de résoudre les différends et un dialogue constructif de bonne foi.

Dans cette optique, la Grèce, Chypre et l’Égypte prévoient de tenir le 9e sommet trilatéral entre les trois pays à Kavalla en Grèce le 19 octobre. L’énergie sera un élément clé de l’agenda.

Sur une autre note positive pour la coopération régionale dans le secteur de l’énergie, Chypre et l’Egypte ont signé le 16 octobre un protocole d’accord pour construire une interconnexion électrique entre les deux pays, avec extension à la Grèce. À une époque de transition vers une énergie propre, il s’agit d’un développement important qui facilitera à terme le déploiement plus large des énergies renouvelables dans la région.

La source: www.neweurope.eu

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