C’est n’importe quel samedi de la fin des années 2010 et la foule de plusieurs centaines de personnes s’est arrêtée le long du boulevard. Des officiers entièrement vêtus de la gendarmerie mobile ou du tristement célèbre contrôle des foules CRS forcent des boucliers de verrouillage pour engloutir les manifestants, dont les scans de « Macron, démission ! fondu en « Tout le monde déteste la police ». Sans avertissement – ​​malgré l’exigence officielle selon laquelle la police anti-émeutes annonce l’usage imminent de la force – une pluie de grenades lacrymogènes a atterri au milieu de la foule de manifestants. La foule se disperse, cherchant un point de sortie potentiel au milieu de la toile de boucliers anti-émeute, tandis que quelques retardataires enhardis bravent les vapeurs cuisantes.

Pour les critiques comme pour les admirateurs, des scènes comme celles-ci sont des exemples du modèle français de « préserver l’ordre ». Il peut sembler exagéré d’identifier une logique particulièrement gauloise dans l’utilisation de la force de l’État pour briser une manifestation populaire. Pourtant, le gouvernement apparemment libéral d’Emmanuel Macron a suscité de vives critiques de la part d’un éventail d’organisations internationales pour la façon dont il a réprimé les mouvements de protestation qui ont parsemé le calendrier politique ces dernières années.

Au sommet de la gilets jaunes fin 2018 et 2019, le Conseil européen a mis en garde le gouvernement contre le danger – et l’illégalité potentielle – des balles en caoutchouc déployées, qui ont mutilé des dizaines de manifestants. Dans une rare dénonciation d’une démocratie occidentale, Michelle Bachelet, haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, a lancé un appel aigu au gouvernement français pour qu’il recoure au dialogue social plutôt qu’aux balles en caoutchouc et aux gaz lacrymogènes.

Depuis lors, les grandes manifestations se sont raréfiées sur le terrain, symptôme à la fois des effets politiques de la pandémie et du souvenir des risques réels de descendre dans la rue. Mais le propre chien de garde du gouvernement français tire toujours la sonnette d’alarme. Le 29 novembre, le Défenseur des droits (DDD), une autorité des libertés civiles dont le directeur est nommé par le président, a publié un rapport sur les tactiques de la police pour contrôler les grandes foules et les manifestations. “Français [institutional] la manière dont les acteurs envisagent les manifestants semble fortement marquée par un cadre conflictuel », a regretté la DDD, dans le langage tempéré caractéristique d’un médiateur public.

Ce dernier rapport s’appuie sur et résume les conclusions d’une commission indépendante qui a publié ses conclusions en juillet 2021. Comparant les tactiques françaises de contrôle des foules à celles déployées par d’autres États européens, les sociologues et politologues qui ont produit le dossier ont remarqué que, ces dernières années, il est devenu courant pour les forces de police françaises de « considérer la foule comme un élément violent par nature ».

L’élaboration d’un « Schéma national de maintien de l’ordre » (SNMO), codification par le ministère de l’Intérieur du protocole de maintien de l’ordre dans les grandes foules, devait répondre à ce concert de critiques. Le processus a été initié par Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur entre 2018 et 2020, période qui a vu le point culminant des mouvements populaires qui ont caractérisé la phase pré-pandémique de la présidence de Macron.

Pourtant, s’il s’agissait sans aucun doute d’une feinte aux appels à la désescalade, les résultats de la SNMO ont été décevants. Publiée en septembre 2020, la version initiale était bien en deçà des espoirs des défenseurs des libertés civiles et de la liberté d’expression. Entièrement formulé au sein de la hiérarchie du ministère de l’Intérieur, le SNMO s’est ainsi retrouvé à l’écart du débat public déclenché lorsque des scènes d’excès de force policière contre les manifestants ont momentanément fait le tour de l’actualité. Mais même si le document a été repoussé, une nouvelle version publiée le 16 décembre n’est guère meilleure – normalisant les mesures de plus en plus répressives que la police a déjà prises dans la pratique.

En effet, le SNMO est autant le produit d’une intense mobilisation des syndicats de policiers qu’une réponse gouvernementale à un débat national sur les violences policières. Même avant les fermetures strictes du pays liées au COVID à partir de mars 2020, les forces de police étaient épuisées, allongeant les heures supplémentaires pour répondre au rythme fébrile des manifestations et accumulant un arriéré de salaires non remboursés. Un projet de loi controversé sur la « sécurité mondiale » déposé fin 2020, quelques semaines après le projet initial du SNMO, visait, entre autres, à sanctionner le tournage de policiers avec l’intention de leur porter préjudice. Fortement critiquée par les défenseurs des libertés civiles, cette règle a été censurée par le Conseil constitutionnel en mai 2021.

Le même mois, quelques semaines avant que la justice ne lance sa première contestation des protocoles de la SNMO, des milliers de policiers français ont organisé un rassemblement devant l’Assemblée nationale. Critiquant les conditions de travail, le prétendu laxisme du système judiciaire et l’adhésion ostensible des médias au thème des violences policières, les policiers présents se sont prononcés contre ce qu’ils considéraient comme un manque général de reconnaissance publique (un étrange grief à entendre lors d’un événement auquel par des personnalités de tous les grands partis nationaux, à l’exception de France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon).

Il n’est donc pas surprenant que sous le vernis de la diligence raisonnable et de l’autocontrôle, le SNMO ait largement validé l’éventail des tactiques répressives que la police avait développées à partir du milieu des années 2010. Balles en caoutchouc, grenades éclair, déploiement d’unités plus agressives telles que des escadrons de cavaliers à moto, nouvelles tactiques juridiques telles que la mise en accusation et le jugement immédiats de manifestants soupçonnés d’avoir prévu de commettre des violences : le « modèle français » a finalement été codifié en tant que gouvernement politique.

Dans une décision de juin 2021, la plus haute juridiction administrative de France, le Conseil d’État, a condamné la première restitution de la SNMO. Tout en validant l’architecture plus large du document, les juges ont rejeté les articles prohibitifs du texte concernant les droits des journalistes lors des manifestations, y compris les exigences selon lesquelles les journalistes s’identifient clairement, portent un matériel de protection et quittent la zone dès que l’ordre de se disperser a été livré. La nasse, ou kettling – une tactique par laquelle des escadrons de police anti-émeute encerclent et piègent une foule de manifestants tout en empêchant les gens de s’échapper – a également été censurée par le tribunal : un revers, au moins sur le papier, pour le ministère de l’Intérieur.

Republiée le 16 décembre, la deuxième version légèrement modifiée du SNMO était censée intégrer les préoccupations de la Cour concernant les libertés de la presse et la liberté d’expression. Les quelques retraits de tact accordés par le ministère de l’Intérieur concernent principalement les droits des journalistes, qui ne seront plus obligés de quitter le site d’une manifestation et seront confrontés à des exigences d’accréditation légèrement assouplies pour observer et se déplacer au milieu et derrière les forces de police. Ces ajustements, ainsi que des ajustements cosmétiques à la tactique de kettling, démentent l’esprit d’un texte qui cherche toujours à normaliser les tactiques répressives qui ont été développées au cours des cinq dernières années, alors que les forces de police françaises ont dû s’adapter à une ère renouvelée de la société protestation et mobilisation.

« C’est dommage », a commenté Anne-Sophie Simpere d’Amnesty International France. «Ce nouveau protocole aurait pu être un moyen de partir d’une table rase, d’aller aux causes profondes du fait que la façon dont nous gérons les manifestations a causé des milliers de blessures. . . . Le premier SNMO a largement validé les tactiques développées au cours des hivers 2018 et 2019, et ces révisions ne changent vraiment pas grand-chose.

Les protocoles officiels sont une chose. Sur le terrain, la pratique effective du maintien de l’ordre dépend davantage de la manière dont les policiers se sentent autorisés à agir. Le sentiment de licence de la police française a été suralimenté par une campagne de communication contre les soi-disant casseurs, littéralement « casseurs », supposés bandes de nihilistes violents qui infiltrent les manifestations pour se battre avec la police et vandaliser les chaînes de magasins. le gilets jaunes sont des « complices », a averti Castaner dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux le 11 janvier 2019, la veille d’une nouvelle série de manifestations des manifestants en gilet jaune.

Il est révélateur qu’un terme aussi peu scientifique que casseur est employé sans guillemets dans la dernière version du SNMO, comme s’il s’agissait d’une manière sérieuse d’expliquer l’escalade des tensions lors des manifestations publiques. le casseur est un autre mot pour l’ennemi parfaitement anarchique – un homme de paille qui justifie d’accorder à la police une portée maximale d’opérabilité tactique.

Que le dernier SNMO laisse une si grande marge de manœuvre et d’interprétation aux personnes chargées de « préserver l’ordre » inquiète les défenseurs des libertés civiles, qui craignent que peu de choses ne changent dans la culture de la police française.

Par exemple, le dernier SNMO contourne avec élégance l’interdiction du Conseil d’État de faire bouillir les manifestants. « Afin d’éviter l’utilisation de techniques répressives qui pourraient présenter des risques encore plus importants de préjudices pour les personnes », lit-on dans le document, « il peut être nécessaire d’encercler un groupe de manifestants pour prévenir et mettre fin à des violences graves et imminentes contre personnes et biens.

S’il semble que le ministère de l’Intérieur se moque du Conseil d’État, le document précise qu’un « point de sortie contrôlé » sera prévu et que le piégeage ne peut être utilisé que pendant une « période de temps strictement définie et nécessaire ». De même, les policiers sont encouragés à « communiquer régulièrement » avec les manifestants piégés afin de « les informer de la situation ». Sans surprise, la section conclut en remettant un chèque en blanc aux policiers : « La possibilité offerte à [demonstrators] sortir de l’enceinte doit être constamment réévalué avec discernement au vu de la persistance de la menace ou des perturbations qui ont justifié la mise en œuvre de cette technique.

« Tout est orienté vers l’usage de la force. Les manifestations sont présentées comme un risque », a déclaré Simpere jacobin. « La police a également la responsabilité de faciliter les manifestations, d’assurer la sécurité des manifestants. Ce rôle positif a été entièrement marginalisé. De toute évidence, « préserver l’ordre » est un aspect de toute protestation. Mais la rendre aussi centrale qu’elle l’est aujourd’hui, dans le contexte de tensions majeures entre les forces de police et les manifestants, n’est pas ce dont nous avions besoin.

En effet, mis à part les subtilités du protocole policier, le plus inquiétant est la philosophie qui sous-tend le nouveau SNMO du début à la fin. Des grenades lacrymogènes, des balles en caoutchouc arrachant les yeux, le déploiement de nouvelles technologies comme les drones, l’arrestation immédiate d’individus suspects, le piégeage de manifestants afin d’inciter à la violence et justifier ainsi un éclatement forcé de la manifestation. . . pour un ministère de l’Intérieur enhardi, l’arsenal massif d’armes et les nouvelles tactiques agressives que l’appareil policier français a développées ces dernières années ne sont tout simplement pas le problème.

Selon les auteurs, c’est la présence « d’éléments révolutionnaires et séditieux » et « d’individus bien organisés et ultraviolents » qui « remet sérieusement en cause la liberté de manifester et la capacité de la garantir ». Dans le monde à l’envers présenté par le SNMO, ce sont les manifestants eux-mêmes qui représentent la plus grande menace pour le droit de manifester.



La source: jacobinmag.com

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