Le français baguette est un mot générique pour les choses longues et fines – bâton, tige, etc. une baguette magique – l’étoffe des contes pour enfants et des illusions d’adultes.
La baguette la plus importante, bien sûr, est celle que nous mangeons. Les Français en consomment par milliards chaque année.
Fin novembre 2022, un rassemblement multinational de l’UNESCO a doté la baguette française d’une inscription dans sa liste des phénomènes ayant un “patrimoine culturel immatériel”. L’industrie française développait son dossier depuis cinq ans. La baguette française acquiert désormais apparemment un caractère mystique.
Il n’y a que quatre ingrédients (obligatoires) dans la baguette «tradi» – farine, eau, sel et levure. La mystique intégrée vient de la compétence et de l’engagement de l’artisan boulanger. Ce talent est célébré chaque année (bien qu’avec un parti pris métropolitain) avec le concours de la baguette entre parisiens boulangeries – le Grand Prix de la baguette de Tradition Française de la Ville de Paris. Il a été initié en 1997 par le président de l’époque, Jacques Chirac (anciennement maire de Paris).
Hélas, la baguette « tradi » est une affaire marginale. On tire ici sur l’hebdomadaire Le Canard enchaîné. Le Canard a une colonne régulière estimable (conflit de canard) où il dissèque constamment et défavorablement les secteurs agricoles et alimentaires français.
L’agriculture française et son industrie agroalimentaire est avant tout un complexe agro-industriel, impitoyable et impénitent. Les paysan et l’artisan sont des races décroissantes. Le Canard affirme que seuls 20 % des milliards de baguettes consommées ont un caractère artisanal.
Plus, selon les rapports de l’industrie, environ 400 boulangeries disparaissent chaque année. (Maintenant, les prix de l’énergie qui font rage menacent le commerce lui-même.)
La baguette « tradi » est l’arbre qui cache la forêt. La baguette industrialisée est désormais un incontournable. C’est l’équivalent culinaire de la loi de Gresham (“la mauvaise monnaie chasse la bonne”). Hard yakka (argot australien mais pertinent) a été naturellement vulnérable à un marché dominé par des géants corporatifs ou coopératifs avides de profit offrant des options plus faciles sous la forme de matériaux prémélangés aux boulangers et où le client peut ne pas être plus sage et/ ou indifférent.
Et la recette ?
La base est de la farine ultra-raffinée. Les minéraux et les fibres importants ont disparu tandis que le raffinage augmente la teneur en sucre en tant que sous-produit. La dépendance complémentaire à la levure à levée rapide ajoute encore à la teneur en sucre et à l’index glycémique. Ensuite, il y a les additifs – acide ascorbique (pour inhiber l’oxydation), monostéarate de glycérol (pour inhiber le cloquage de la croûte), lécithine de soja (pour prolonger la durée de conservation) et plus de gluten (pour réduire le temps de fermentation et de pétrissage et pour améliorer l’apparence).
Ensuite, il y a le sel. La farine sans saveur en demande beaucoup. Les autorités tentent depuis 2002 de réduire la teneur en sel. La limite en vigueur est de 18 grammes par kilo de farine mais même ce chiffre, établi par compromis, reste généralement honoré dans l’infraction.
Le caractère matériel de la baguette industrielle n’a rien d’intangible.
En mars 2022, lors du dépôt de la candidature à l’UNESCO, la présidente du Comité de soutien à la candidature, la sénatrice Catherine Dumas, affirmait que « la France est connue à l’étranger pour son savoir faire et art de vivre, sur les terrasses, pour sa cuisine, mais aussi pour la baguette. Avec lui, la France a montré qu’elle avait aussi un savoir faire à la fois populaire et simple ». Dumas a affirmé qu’un peu de l’ADN français se trouvait dans ce simple gressin.
Au contraire, l’ADN français a évolué et il réside désormais dans la baguette industrielle. On le retrouve dans boulangeries sur l’alimentation de l’entreprise et (sous forme dégénérée) dans les allées des hypermarchés et un frigo rempli d’emballages d’aliments transformés surgelés.
Il n’est peut-être pas surprenant que le président Emmanuel Macron prenne le train en marche. Son quotient de popularité est flasque. A Washington DC le 1er décembre (il n’était pas là pour dire à ses hôtes d’arrêter de détruire l’Europe), Macron loue ainsi ce produit affublé : « Dans ces quelques centimètres de savoir-faire passés de main en main, il y a justement l’esprit du français savoir faire. C’est quelque chose d’incontournable ».
Sous sa nouvelle bannière du Parti, La République en marche, la présidence de Macron depuis 2017 n’a abouti à rien. Sa « start-up nation » est toujours sur les starting-blocks. Rebadgé comme Renaissance en 2022, la coalition présidentielle de Macron n’a démontré aucun renouveau, mais plutôt la persistance obstinée d’un programme néolibéraliste brutal et fatigué. Macron a désespérément besoin de symboles positifs comme diversion – du pain (littéralement) et des cirques (ses bouffonneries d’autopromotion à la Coupe du monde).
La baguette « tradi » est bien réelle, et à juste titre un trésor national. Mais sa proclamation comme l’incarnation de la France actuelle a plus qu’un parfum de charlatanerie, voire de chicanerie. S’agit-il plutôt d’un coup de baguette magique sur la réalité d’un paysage gorgé de pesticides, d’herbicides et d’additifs chimiques ? Illusions d’adultes en effet. À tout le moins, la menace pour la bonne santé exige que l’on reconnaisse explicitement l’hypocrisie sous-jacente.
Source: https://www.counterpunch.org/2023/01/06/the-french-baguette/