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Le lancement des Nupes a bouleversé le climat politique en France à l’approche des élections législatives des 12 et 19 juin. Jusque-là, les perspectives pour la gauche semblaient assez sombres. Malgré la belle performance de Jean-Luc Mélenchon dans les sondages, la gauche a de nouveau échoué à se qualifier pour le second tour de l’élection présidentielle. Désunis, les différents partis de gauche semblaient destinés à une nouvelle défaite écrasante aux élections législatives. Nupes leur donne maintenant de l’espoir.

Nupes signifie Nouvelle union populaire écologique et sociale. La coalition regroupe les principaux partis de gauche : le Parti socialiste (PS), Parti communiste français (PCF), Europe écologie les verts (EELV), ainsi que des petits partis comme Génération.s, Génération écologieet le Nouveaux démocrates. Nouveau parti anticapitaliste (NPA), le seul parti anticapitaliste invité à rejoindre la coalition, s’est désisté car il a refusé de faire partie d’une coalition aux côtés du PS.

Dans un premier temps, chaque partie a signé un accord bilatéral avec La France insoumise, mouvement de Mélenchon. Le 19 mai, tous les accords individuels ont été fusionnés dans une plate-forme complète contenant 650 propositions politiques. Ce n’est pas la première fois que la gauche en France forme une coalition électorale aussi large. Il y a quatre précédents historiques : 1924 Cartel des gauches (Socialistes et Radicaux); Front Populaire de 1936 (Socialistes, Radicaux et Communistes, bien que ces derniers n’aient pas rejoint le gouvernement) ; Programme commun de 1972 (PS, PCF et Mouvement des Radicaux de Gauche) et la « Gauche plurielle » de 1997 (PS, PCF, Mouvement citoyen et les Verts).

Le programme de la nouvelle alliance est de nature radicalement réformiste. Il s’inscrit dans la radicalité du programme commun des années 1970, bien que des commentateurs aient noté qu’il est moins radical que l’accord de 1972 car il n’appelle pas à une rupture transitoire avec le capitalisme. Comme l’a dit Thomas Piketty, la gauche unie a remis la « justice sociale et fiscale » à l’agenda politique (ses politiques phares ramènent l’âge de la retraite à 60 ans et augmentent le salaire minimum). La feuille de route Nupes définit également une planification écologique et une « règle d’or climatique » visant à protéger la biodiversité, lutter contre la pollution de l’environnement et réduire les gaz à effet de serre.

Fait intéressant, les membres de la nouvelle alliance sont assez ouverts sur les désaccords politiques au sein de la coalition. Il y a en effet 33 « divergences politiques » : par exemple sur l’Europe, où le Nupes s’engage à « réorienter le cours de l’intégration européenne vers plus de justice sociale, de meilleures politiques environnementales, et à défendre les services publics ». Mais la position de chacun sur l’Europe est affirmée. La France insoumise est présenté comme l’héritier de ceux qui ont combattu et rejeté le traité constitutionnel de 2005 et comme un mouvement qui pourrait «désobéir» au droit européen, si l’UE empêchait les Nupes de mettre en œuvre son programme. De son côté, EELV se dit « favorable à une Europe fédérale » et le PS est « fortement engagé dans la poursuite de l’intégration européenne ».

La diplomatie programmatique s’applique également au sujet sensible de la guerre en Ukraine. A l’approche de l’élection présidentielle, le PS et EELV se sont opposés avec véhémence aux positions sur l’Ukraine prises par La France insoumise et le PCF. Ils étaient particulièrement alarmés par les opinions pro-russes de Mélenchon dans la période d’avant-guerre. Cela dit, l’Ukraine ne doit pas être un cassus belli pour les Nupes.

Le programme indique que la coalition s’est engagée à « défendre l’intégrité territoriale de l’Ukraine » et pointe du doigt « les crimes de Poutine ». Cela, dans l’ensemble, semble bien, mais c’est aussi terriblement vague : comment un gouvernement dirigé par Nupes défendrait-il réellement l’Ukraine ? Le programme reste évasif sur cette question importante. De plus, il n’y a aucune mention des forts désaccords entre les partenaires de la coalition à propos de l’OTAN : La France insoumise pense que l’OTAN constitue une menace majeure dans la région et veut que la France en sorte, alors que le PS est attaché à l’adhésion à l’OTAN.

Qu’est-ce qui a conduit à la formation des Nupes ?

Une “primaire populaire” plutôt infructueuse a été organisée en janvier pour sélectionner un candidat commun de gauche pour l’élection présidentielle de 2022. Christiane Taubira, ancienne ministre de la Justice sous la présidence de François Hollande, l’a emporté mais elle a vite été abandonnée par ses partisans. Au lieu d’unir la gauche, la campagne mal préparée et amateur de Taubira a été considérée comme provoquant une division supplémentaire à gauche.

En fin de compte, les sondages d’opinion ont été la véritable élection primaire à gauche. Après un démarrage lent, Mélenchon a terminé en force, un peu comme lors de l’élection présidentielle de 2017. Il a été battu de justesse par Marine Le Pen pour la deuxième place du second tour. Mélenchon a encore personnalisé une élection qui est, par nature, très personnalisée. À deux reprises, il s’est présenté comme candidat autoproclamé, tout en refusant de participer à une élection primaire pour la gauche.

En 2017 comme en 2022, Mélenchon a bénéficié d’un vote tactique. Lors de la dernière élection, les électeurs qui envisageaient de voter pour d’autres candidats de gauche ont changé d’allégeance à la dernière minute et ont soutenu Mélenchon. Certains n’aimaient même pas Mélenchon ou n’étaient pas d’accord avec certaines de ses politiques, mais ils ont voté tactiquement dans l’espoir d’éviter une répétition du concours de 2017 entre Macron et Le Pen. Les électeurs de gauche cherchaient désespérément à éviter une fois de plus l’exclusion de la gauche du second tour.

Lorsque Mélenchon a proposé une alliance à ses rivaux de gauche, il l’a fait en position de force, après avoir battu catégoriquement tous les autres candidats de gauche au premier tour. Cela signifiait qu’il pouvait imposer le rythme et la nature des pourparlers de coalition. De plus, il a réussi à s’autoproclamer « Premier ministre en attente », en cas de victoire des Nupes aux législatives. Il a même demandé aux électeurs de l’« élire » Premier ministre, une aberration constitutionnelle puisque seul le président peut nommer le Premier ministre.

La France insoumise est bien la force dominante au sein des Nupes : avec 325 candidats à travers la France, le mouvement de Mélenchon regroupe un peu plus de 56 % des candidats des Nupes. Le 1er mai, lors du lancement public des Nupes à Aubervilliers, chaque leader de gauche se voit accorder un bref temps de parole. Mélenchon a pris la parole le dernier et son discours a duré près de deux heures.

Fait intéressant, les Nupes représentent un changement tactique majeur pour Mélenchon, qui entre 2016 et 2020 a délibérément méprisé la gauche et adopté une stratégie « populiste ». Il a tenté en vain de fédérer le « peuple » au-delà du traditionnel clivage gauche-droite. Cela ne s’est pas déroulé comme prévu : pendant le premier mandat de Macron, La France insoumise a souffert de mauvais résultats électoraux et le mouvement n’a réussi à faire élire que quelques responsables du parti à travers la France.

Mélenchon avait bien besoin des Nupes pour éviter d’être battu à nouveau par le parti de Macron aux législatives (La France insoumise compte actuellement 17 députés contre les 267 députés appartenant au parti de Macron). Pourtant, les autres partis de gauche avaient aussi cruellement besoin de l’alliance pour sauver leur groupe parlementaire. Le PS, le PCF et EELV ont fait une si mauvaise passe à l’élection présidentielle qu’il y avait un risque réel que sans un tel accord, ils perdent la quasi-totalité de leurs députés.

Cela dit, ce qui n’était au départ qu’un recul tactique de la part d’une gauche affaiblie s’est avéré être un peu un coup de maître. Les électeurs sont généralement favorables à l’accord et il y a maintenant un réel espoir que la gauche puisse augmenter considérablement sa représentation à l’Assemblée nationale, sinon remporter les élections. Ironiquement, l’alliance pourrait relancer la fortune chancelante du PS, qui se bat pour sa survie depuis cinq ans. L’accord Nupes donne au PS une chance de basculer vers la gauche et de renouer avec son électorat perdu. S’il reste à gauche et parvient à promouvoir des dirigeants compétents, il pourrait même regagner le terrain perdu et redevenir une force significative.

Et ensuite ?

Trois scénarios électoraux peuvent être envisagés à ce stade. La première est que les Nupes obtiendront une majorité absolue. Cela est possible mais reste peu probable. Mélenchon deviendrait Premier ministre dans ce scénario, et les Nupes commenceraient à fonctionner comme un groupe parlementaire faîtier (chaque parti conserverait son propre groupe parlementaire au sein des Nupes).

Le deuxième scénario serait que le Nupes ne remporte pas la majorité absolue, mais que la gauche augmente considérablement son nombre total de députés (qui, combiné, s’élève actuellement à 60). Cela inciterait la coalition à continuer à travailler ensemble. Enfin, il est possible que les Nupes soient largement vaincus, et seuls La France insoumise pourrait augmenter son nombre total de députés. Cela mettrait à l’épreuve la résilience et la force de l’alliance.

À l’heure actuelle, les sondages d’opinion suggèrent que le deuxième de ces scénarios – le Nupes augmentant significativement sa part de députés mais ne parvenant pas à obtenir la majorité – est le plus probable de tous. Si les Nupes ne parviennent pas à obtenir la majorité, cela marquerait la fin des activités politiques de première ligne pour Mélenchon, car il ne se représentera pas comme député.

Reste à savoir comment se déroulera l’élection, mais pour l’instant, le Nupes a redonné espoir à une gauche affaiblie en créant une nouvelle dynamique politique capable de défier le « faux centrisme » de Macron. Les différences politiques entre les partis de la coalition peuvent être aplanies au moins dans un avenir prévisible. Ils n’ont pas empêché le succès des coalitions de gauche en 1936, 1981 ou 1997.

Néanmoins, il ne faut pas perdre de vue que le vote total de gauche en France était d’environ 30 % à la fin du premier mandat de Macron. En comparaison, les votes de droite et d’extrême droite totalisent plus de 60 %. Cela montre qu’il n’y a pas de majorité pure et simple de gauche en France à l’heure actuelle et donne des raisons de tempérer les attentes quant à ce que les Nupes peuvent réaliser.

Source: https://www.counterpunch.org/2022/06/03/can-the-french-left-win-the-legislative-elections/

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