Turquie-Grèce-Bulgarie sur le traité de Lausanne. Source de l’image : Wikipédia

La paix est censée suivre la fin des guerres. Pour garantir la stabilité, toutes les parties concernées signent un traité, un accord juridique formel favorisant la tranquillité à court, moyen et long terme. C’est idéalement ainsi que les guerres devraient se terminer. Mais que se passe-t-il lorsqu’un traité met fin à des combats immédiats mais conduit indirectement à un conflit futur parce qu’il ne parvient pas à éliminer les causes profondes des combats ? Les traités, l’une des trois sources fondamentales du droit international, ne valent-ils que le papier sur lequel ils sont écrits ?

Les récentes célébrations à Lausanne du 100ème anniversaire de la signature du 24 juillet 1923, traité de Lausanne ont été, au mieux, en sourdine. Le but du traité, le dernier traité mettant fin à la Première Guerre mondiale, était d’arrêter les combats entre l’Empire ottoman (Turquie) et les Alliés de la Première Guerre mondiale ainsi que de conclure la guerre gréco-turque de 1919-1922. Le texte contenait 143 articles. Parmi les dispositions figuraient la création de la République moderne de Turquie, la délimitation des frontières des îles de la Méditerranée orientale et l’octroi de l’amnistie pour les crimes commis entre 1914 et 1922.

Rétrospectivement, comment le Traité n’a-t-il pas réussi à établir des résolutions durables dans le cadre de ces trois dispositions ? Tout en résolvant certains conflits, en a-t-il créé d’autres ?

Quant à la frontière de la Turquie, le traité n’a pas réussi à établir une région autonome ou un État pour les Kurdes de souche comme prévu dans le traité de Sèvres de 1920, un document qui n’a jamais été ratifié par le gouvernement turc. Les Kurdes n’étaient même pas impliqués dans les négociations de Lausanne. Leurs espoirs d’un Kurdistan autonome ont été rejetés lorsque le traité a divisé leur patrie entre la Turquie, l’Iran, l’Irak et la Syrie. Aujourd’hui, il y a 40 millions de Kurdes de souche dans les quatre pays ainsi que dans une diaspora plus large sans patrie.

Le traité n’a pas non plus résolu les problèmes de statut et de frontières des îles de la Méditerranée orientale. Des tensions subsistent entre la Turquie et la Grèce notamment à propos de Chypre. Les Turcs ont renoncé à leurs droits à Chypre en vertu de l’article 16 du traité et ont reconnu l’annexion britannique à l’article 20. Après la signature du traité, un important échange de populations a eu lieu avec des chrétiens quittant la Turquie pour la Grèce et des musulmans quittant la Grèce pour la Turquie. Mais la rivalité historique entre la Grèce et la Turquie ne s’est pas réglée à Lausanne. La République indépendante de Chypre est divisée depuis 1974, lorsqu’un coup d’État d’inspiration grecque visant à unir l’île à la Grèce a renversé le président chypriote et conduit la Turquie à envahir et à diviser l’île. Les pourparlers facilités par l’ONU ont échoué depuis 1974, la Turquie insistant sur une solution à deux États.

L’octroi de l’amnistie pour les crimes commis entre 1914 et 1922 reste également une question controversée. L’octroi de l’amnistie par le Traité a ignoré ce que les Arméniens et d’autres considèrent comme un génocide turc. La reconnaissance de la République de Turquie et de ses nouvelles frontières a été l’aboutissement d’années de déportation d’Arméniens et de Grecs de Turquie. Le génocide, selon les Arméniens, s’est produit lorsqu’environ un million d’Arméniens ont été déplacés de force de Turquie entre 1915 et 1916 et placés dans des marches de la mort dans le désert syrien.

Le traité de Lausanne a été qualifié de « traité d’après-guerre le plus durable ». [WWI] colonies ». Il a également été qualifié de traité « condamné » ou « misérable », comme le montrent les trois exemples.

Le jour même de l’anniversaire de la signature, environ 6 000 Kurdes de toute l’Europe ont manifesté à Lausanne, marchant vers le Palais de Rumine où le traité a été signé. Pour eux, le traité de Lausanne est une forme de trahison. “Nous n’accepterons jamais ce texte”, a déclaré un porte-parole du Congrès national du Kurdistan (KNK) lors d’une réunion de dirigeants kurdes. « Il y a eu un déni de notre identité qui perdure aujourd’hui », a-t-il affirmé.

Quant aux différends non résolus sur Chypre, juste après les commentaires positifs des dirigeants grecs et turcs lors du récent sommet de l’OTAN, le président turc Recep Erdogan a émis des doutes sur de nouvelles négociations ; “Tout le monde doit comprendre maintenant qu’une solution fédérale n’est pas possible”, a déclaré Erdogan le 20 juillet 2023, lors de la 49ème anniversaire de l’invasion turque. Erdogan a déclaré que les négociations ne pouvaient pas reprendre sans reconnaître “l’égalité souveraine et le statut international égal” des Chypriotes turcs. “Le 20 juillet est le symbole de la souveraineté et de l’égalité de statut des Chypriotes turcs”, a-t-il déclaré.

Pour les Arméniens, l’amnistie accordée par le Traité pour les massacres turcs est également controversée et condamnée. Le traité est comme un “second génocide”, a déclaré Manuschak Karnusian, un résident suisse d’origine arménienne, à Reuters.

“Pour nous, la Turquie restera une menace tant qu’elle ne reconnaîtra pas ou ne condamnera pas le génocide”, a expliqué un manifestant arménien à Lausanne à un journal local. Le génocide a été reconnu par 34 pays en 2023.

Ainsi, alors que le traité a laissé en suspens les questions d’une patrie kurde, du statut ultime de Chypre et de la responsabilité du génocide arménien, il a officialisé un accord de paix à l’époque. N’est-ce pas ce que les traités sont censés faire?

Le problème des trois questions non résolues est temporel. Bien qu’un traité soit un engagement formel, rien ne garantit que ses dispositions seront suivies indéfiniment. Qui garantit que le traité sera respecté ? Qui est de garantir que les questions en suspens derrière le conflit seront résolues ? Les traités formels ne sont que cela; des accords formels et légaux. La paix n’est pas perpétuelle, les traités ne sont pas toujours durables.

Le centenaire du Traité de Lausanne est un moment propice pour réfléchir à la complexité de la paix. Plutôt que tout le contraire de la guerre, la paix est un arrêt des combats, mais pas nécessairement une résolution finale des questions en suspens derrière un conflit. Les traités peuvent même créer des problèmes provoquant de nouveaux conflits.

Le Traité de Lausanne avait une fonction il y a 100 ans. Que les Kurdes, les Chypriotes turcs et les Arméniens ne soient pas satisfaits de certaines de ses dispositions a un sens temporel. Tout traité, comme la paix, est éphémère. Peut-être pas aussi radicalement éphémère qu’un représentant du KNK, qui disait à propos du traité de Lausanne : « Nous voulons rappeler à tous les États qui ont soutenu cet accord que pour nous il n’est ‘pas valable’… Nous continuerons à nous battre pour obtenir ce que nous voulons : son annulation.

Les 100ème La célébration de l’anniversaire du Traité de Lausanne a rappelé les conséquences imprévues des traités et les dangers de l’euphorie lorsque les traités sont signés et la paix déclarée.

Source: https://www.counterpunch.org/2023/07/28/the-treaty-of-lausanne-100-years-after-stop-the-fighting-sign-the-treaty-and-then-what/

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