A moins de deux semaines des élections législatives françaises, Jean-Luc Mélenchon semble plus fort que jamais. Là où d’autres challengers populistes de gauche à travers l’Occident ont eu du mal à construire une organisation durable, voire à répéter leurs scores électoraux initiaux, son mouvement France Insoumise s’est imposé comme une force clé de la politique nationale. Lors de la course présidentielle d’avril, il a obtenu 22 % de soutien et, avant les élections à l’Assemblée nationale des 12 et 19 juin, il dirige une large coalition de gauche – la Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale (NUPES) – recueillant jusqu’à 30 % de soutien.

Si une telle évolution était imprévisible il y a encore quelques mois, ce n’est pas non plus la percée soudaine d’une force inconnue. Le socle idéologique et organisationnel autour de Mélenchon s’est construit en quinze ans, notamment à travers une opposition farouche au libéralisme social établi. L’un de ses actes fondateurs a été la bataille pour le « non » lors du référendum de 2005 sur le traité constitutionnel européen. Après que l’opinion publique française ait rejeté la constitution — montrant l’opposition populaire à un projet soutenu à la fois par le centre gauche et le centre droit, mais qui a ensuite été largement mis en œuvre de toute façon — les forces se sont rassemblées autour de Mélenchon, alors à l’aile gauche du Parti socialiste, pour construire une alternative politique.

Depuis la création de Die Linke en 2009, à travers la campagne du Front de Gauche en 2012 et de France Insoumise en 2017, ces forces ont travaillé dans le but d’atteindre enfin les sommets de l’appareil d’État. Pourtant, en cours de route, ils ont dû faire face à une tâche difficile face à une force bien établie prête à tout pour maintenir son hégémonie : à savoir la social-démocratie néolibérale. Représenté par le Parti socialiste et la présidence de François Hollande de 2012 à 2017, il a toujours cherché à conserver les partis de gauche comme alliés subalternes et subalternes, comme il l’a fait avec plus ou moins de succès tant avec les communistes qu’avec les Verts. Surtout compte tenu de sa force résiduelle au niveau local, cela a limité les possibilités de toute construction alternative de gauche en dehors de cette base social-libérale.

Pourtant, avec les retombées de l’élection présidentielle d’avril, nous voyons le véritable exploit de Mélenchon. Ailleurs en Europe, les partis de centre-gauche établis ont malgré tout réussi à repousser des challengers plus radicaux, notamment en Espagne, au Portugal et en Allemagne. C’est pourtant la France Insoumise qui a créé son propre espace électoral et réussi à constituer une force crédible pour supplanter le social-libéralisme. En avril, le score de Mélenchon a éclipsé ceux des Verts Yannick Jadot (4,6 %) et des socialistes autrefois puissants (1,7 % pour la maire de Paris Anne Hidalgo), affirmant à leur tour sa prétention à diriger la gauche lors des prochaines élections législatives. Il est maintenant accepté par chacun de ces partis longtemps hostiles comme candidat au poste de Premier ministre.

Cela doit également être contextualisé dans l’échec de la social-démocratie néolibérale elle-même. Lors de cette élection, ces partis n’ont pas été en mesure d’établir des clivages politiques susceptibles de résonner dans la société, même si de nombreux sondages d’opinion ont montré que les électeurs français considéraient les inégalités béantes et le coût de la vie comme leurs problèmes prioritaires. C’était l’axe solide de la propre campagne de Mélenchon – y compris à travers un programme soigneusement chiffré, approuvé par de nombreuses personnalités de la société civile – sur lequel France Insoumise travaillait depuis 2016.

Pourtant, si cela marque la montée d’une alternative de gauche radicale crédible, la création de la NUPES — attirant les partis socialiste, écologiste et communiste dans le programme de Mélenchon — s’est également heurtée à une opposition farouche de la part des dirigeants du camp social-libéral vaincu. Des personnalités telles que le candidat socialiste déchu Hidalgo, l’ancien président Hollande et la présidente de la région Occitanie Carole Delga ont vivement dénoncé ce qu’ils appellent une gauche irresponsable dirigée par des éléments “pro-islamistes” ou “communalistes” et “anti-business”. Si des éléments du Parti socialiste tentent de monter un virage plus radical pour sauver ce parti ouvrier historique de la disparition pure et simple, ceux qui l’ont conduit jusqu’à la destruction tentent maintenant de saboter ce virage.

Ces revirements s’opèrent également dans le contexte d’un durcissement du triptyque du champ politique français, tant dans la course à la présidentielle que dans la campagne qui s’ensuit pour les élections législatives. En substance, la politique française est divisée entre la gauche sous la direction de Jean-Luc Mélenchon, le bloc libéral de centre-droit derrière le président Emmanuel Macron, et l’extrême droite, toujours hégémonisée par le Rassemblement national de Marine Le Pen.

Cette division à trois s’est en quelque sorte confirmée même lors du second tour entre Macron et Le Pen : le faible taux de participation en faveur de Macron reflétait également le fait qu’une bonne moitié de son électorat était principalement mobilisé contre Le Pen plutôt que comme une approbation de la sienne. programme. Compte tenu du niveau d’abstention – 26,3% de l’électorat, en fait le choix unique le plus populaire – seuls 20% environ des électeurs inscrits ont activement soutenu le président sortant.

Cela permet d’espérer un troisième tour dans lequel NUPES pourra défier ses adversaires pour une victoire pure et simple. Néanmoins, il y a aussi du mouvement au centre droit, aujourd’hui connu sous le nom de Les Républicains, compte tenu de la faiblesse de la droite traditionnelle. Si dès sa première élection présidentielle en 2017, Macron, ancien ministre des Finances dans une administration dirigée par les socialistes, avait promis de réunir “la gauche et la droite”, en 2022, cette recomposition du centre pro-élite se poursuit encore plus loin, rassemblant à la fois d’anciens électeurs sociaux-démocrates qui ont adhéré au projet néolibéral et une grande partie de l’ancienne droite.

Des crises telles que la guerre en Ukraine, l’inflation et les effets persistants de la pandémie de COVID-19 sont certainement propices à une polarisation accrue du champ politique, et chacun de ces trois camps a ses propres divisions internes. Mais les partis arrivés en tête dans chacun d’eux en avril étaient des réponses claires et naturelles pour leurs camps respectifs, ayant déjà construit les bases de leur hégémonie bien avant le vote lui-même.

Face à ce cas relativement rare d’un parti de gauche radicale formé dans les années 2010 et continuant à se développer jusqu’à aujourd’hui, des personnalités à travers le continent se tournent vers la France Insoumise comme exemple. Le cofondateur de Podemos, Pablo Iglesias, a tweeté que le résultat de Jean-Luc Mélenchon était «un modèle pour l’Europe.” Au milieu de grandes difficultés pour de telles forces à travers l’UE, la France Insoumise n’est pas seulement l’un des principaux acteurs de la recomposition politique à gauche mais son pivot central.

Certains chiffres ont, certes, cherché à nuancer l’importance de ce succès. Par exemple, lors des négociations pour les élections législatives, certaines personnalités écologistes et communistes ont insisté sur le fait que le vote pour l’Union populaire de Mélenchon avait été un « vote pragmatique » stratégique dans l’espoir d’éviter un nouveau second tour Macron-Le Pen. le candidat de la gauche radicale.

Pourtant, les événements depuis le concours d’avril ont également montré les limites de ces revendications. Mélenchon a, après tout, obtenu 7,6 millions de voix, et bien que cette base puisse être plus ou moins solide dans ses différentes parties, la NUPES offre la possibilité de les consolider en une force plus organisée. La campagne de Mélenchon a démontré que les idées d’une rupture nette avec le néolibéralisme et l’autoritarisme de Macron ont un fondement de soutien sur lequel la campagne parlementaire peut s’appuyer alors que les autres partis de gauche se rallient à l’essence de son programme.

Cependant, plusieurs dangers guettent, y compris pour la gauche. Le premier est le problème de l’abstention, qui s’est amplifiée depuis des années, montrant la résignation de ces couches de la population qui ne s’identifient plus aux institutions démocratiques. A cet égard, la campagne 2022 de Mélenchon peut se targuer d’avoir été celle qui a le mieux attiré d’anciens abstentionnistes. Mais cela a également été contrebalancé par un mouvement inverse : les électeurs de Mélenchon en 2017 qui ne se sont pas présentés cette fois. Cela reflète la difficulté de solidifier une base de soutien parmi un électorat instable peu convaincu que l’action politique fonctionnera vraiment pour lui.

En ce sens, une autre faiblesse persistante de la gauche radicale est sa présence au niveau local. En effet, alors qu’en 2017 Mélenchon a facilement battu le socialiste Benoît Hamon à l’élection présidentielle, aux élections législatives suivantes, ainsi qu’aux élections régionales et municipales ultérieures, le Parti socialiste a montré sa force résiduelle en profondeur, alors que la France Insoumise peinait à gagner de telles élections de niveau intermédiaire. La différence, cette fois, c’est que l’alliance NUPES, qui a également été très médiatisée tout au long du mois dernier sur le dos de la campagne de Mélenchon, offre l’espoir de créer une dynamique nationale sans précédent, modifiant également les rapports de force au sein de la gauche. . Sur les 577 circonscriptions, la France Insoumise comptera 326 candidats, les Verts 100, le Parti socialiste 69 et le Parti communiste 50.

Un autre indicateur troublant pour la gauche vient de la hausse continue du vote de Le Pen et de la possibilité pour l’extrême droite de faire une avance au moins modérée aux élections législatives. Ce qui est particulièrement inquiétant, c’est que le vote d’extrême droite a renforcé sa dimension « sociale », comme le montre le soutien de plus de 30 % de Le Pen parmi les ouvriers et les employés au premier tour de l’élection présidentielle — des scores plus élevés que les Gauche atteinte. La géographie du résultat montre aussi que le vote d’extrême droite est très bien implanté dans les zones victimes de la désindustrialisation, notamment au nord.

C’est un défi auquel le député de la France Insoumise François Ruffin est particulièrement attaché. Dans une récente interview, il a mis en garde le mouvement contre le fait de se fier uniquement aux gains des électeurs jeunes et de la classe ouvrière dans les grandes villes, insistant sur le fait que les progrès ici doivent être combinés avec une concentration sur les petites villes abandonnées. En effet, la composition sociale de l’électorat de la France Insoumise est contradictoire : elle le rend vulnérable lors d’élections à taux d’abstention élevés, y compris les élections législatives (avec un taux de participation attendu proche de 50 %), mais rend également relativement plus difficile pour d’autres forces de ronger .

Le dernier défi pour cette nouvelle gauche sera de jeter les bases pour affronter d’autres défis à venir, non seulement dans l’arène électorale mais aussi au niveau de la mobilisation sociale. La faiblesse du véritable soutien populaire de Macron, combinée à son ambition toujours affichée de prendre des mesures impopulaires pour renverser le modèle social français – notamment en relevant l’âge de la retraite à soixante-cinq ans – pourrait déclencher de nouvelles turbulences. Sans parler des retombées de crises beaucoup plus vastes, y compris celles que nous pouvons déjà prédire, comme les effets du changement climatique et le retour de la restriction budgétaire ordolibérale au niveau de l’UE.

Tous ces événements mettront sûrement à l’épreuve l’alliance NUPES, compte tenu de l’hétérogénéité des partis en présence ainsi que des différents électorats qu’ils mobilisent. Le défi pour les forces dirigées par Mélenchon est de rester une boussole politique stable qui peut orienter une alternative plus organisée à la fois au centre-droit libéral et aux goûts de Le Pen. Nous savons que de nouvelles crises se préparent, et que cela démontrera davantage la polarisation de la vie politique française et l’incapacité du néolibéralisme à apporter des solutions viables. Le mouvement de Mélenchon offre un espoir crédible, au moins, que les choses ne doivent pas être ainsi.



La source: jacobin.com

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