Au Canada, un accord parlementaire d’approvisionnement et de confiance entre le Parti libéral au pouvoir et le Nouveau Parti démocratique (NPD) de l’opposition a remis l’idée d’un régime universel d’assurance-médicaments à payeur unique — connu sous le nom d’assurance-médicaments — sur le devant de la scène. L’accord entre les libéraux et les néo-démocrates verra ces derniers soutenir le gouvernement sur les dépenses et d’autres projets de loi essentiels qui, s’ils sont rejetés, déclencheraient probablement des élections. Alors que le Parti conservateur entame le processus de sélection de son prochain chef, cet arrangement ouvre la voie à une période de stabilité parlementaire qui pourrait s’étendre jusqu’en 2025.

Il y a de nombreuses raisons de critiquer les libéraux, le NPD et cet accord. Malgré tout, le pacte offre une réelle opportunité de faire progresser l’assurance-médicaments et d’introduire des changements matériels appréciables et permanents dans la vie de millions de Canadiens qui ont du mal à se payer les médicaments dont ils ont besoin. Cependant, l’assurance-médicaments a de puissants ennemis et élaborer, instituer et administrer un tel régime ne sera pas facile.

Dans son rapport de 2018, l’Institut Broadbent a retracé l’historique des efforts visant à mettre en place un régime d’assurance-médicaments au Canada. L’idée est apparue pour la première fois sur la scène nationale en 1945, dans le cadre de discussions sur les idées de politique nationale d’assurance-maladie. Il n’a pas été retenu dans le cadre du programme universel d’assurance médicale à payeur unique qui a émergé dans les années 1960, mais l’idée est populaire et le problème a été maintenu en vie grâce au soutien obstiné du public. Comme le mentionne le rapport, en 1997, le gouvernement du premier ministre libéral Jean Chrétien a promis « d’élaborer un plan national, un échéancier et un cadre financier pour offrir aux Canadiens un meilleur accès aux médicaments médicalement nécessaires ». Cela ne s’est pas produit. De plus, cela ressemble un peu à la promesse que le premier ministre Justin Trudeau et le chef du NPD Jagmeet Singh viennent de faire.

L’accord d’approvisionnement et de confiance s’engage à “continuer à progresser vers un programme national universel d’assurance-médicaments en adoptant une loi canadienne sur l’assurance-médicaments d’ici la fin de 2023, puis en chargeant l’Agence nationale des médicaments d’élaborer un formulaire national de médicaments essentiels et un plan d’achat en gros d’ici la fin de 2023″. l’accord.” Mais qu’est-ce que tout cela signifie?

L’Agence nationale des médicaments et le formulaire national qu’elle élabore sont des éléments clés d’un régime d’assurance-médicaments, essentiels à la fois pour déterminer quels médicaments seront couverts et pour contrôler les prix des médicaments. Un plan d’achat en gros est également essentiel – c’est un moyen de coordonner les achats et de mieux contrôler les prix. Ensemble, ces détails indiquent une promesse concrète qui nous donne une idée de ce à quoi pourrait ressembler le programme en attendant de plus amples informations.

Cependant, le risque d’un programme lent, inégal et fragmentaire est élevé — le NPD l’a admis. Il y a aussi le risque que le processus aille de l’avant mais que les fondateurs d’une élection du Parti conservateur gagnent. Si les conservateurs forment le gouvernement avant que le programme ne soit en place, sa mise en œuvre est très douteuse.

La seule chose que nous savons avec certitude au sujet du programme, c’est qu’il prendra du temps. La Loi canadienne sur l’assurance-médicaments, promise d’ici la fin de 2023, n’est qu’un début. Comme le dit Chris Parsons, coordonnateur provincial de la Nova Scotia Health Coalition : « Vous ne créez pas ce programme par une loi. Il dit que la loi, bien qu’essentielle, n’est rien sans les négociations et les querelles avec les ministères fédéraux, les gouvernements provinciaux et territoriaux, les compagnies pharmaceutiques, les pharmaciens, les compagnies d’assurance, les syndicats et d’autres qui feront de l’assurance-médicaments une réalité.

La loi servira toutefois de cadre décrivant les normes, les responsabilités et les principes du programme. Cela peut, en fait, ressembler à la Loi canadienne sur la santé, le cadre du programme d’assurance-maladie du pays. La Loi canadienne sur la santé décrit les objectifs de l’assurance-maladie et les cinq principes du programme : intégralité, universalité, transférabilité, administration publique et accessibilité. Il impose également des limites et des conditions au financement, y compris l’interdiction de facturer des frais d’utilisation.

Nous ne savons peut-être pas à quoi ressemblera la Loi canadienne sur l’assurance-médicaments, mais il existe une feuille de route que nous pourrions consulter pour avoir une idée — et certains objectifs. En 2019, le « rapport Hoskins », Une ordonnance pour le Canada : Atteindre un régime d’assurance-médicaments pour tous, présidé par l’ancien ministre de la Santé de l’Ontario, le Dr Eric Hoskins, a recommandé « un système public universel à payeur unique de couverture des médicaments sur ordonnance au Canada ». Il a recommandé que les cinq principes de l’assurance-maladie soient reproduits pour l’assurance-médicaments. Cette idée devrait servir de guide pour une grande partie du programme fédéral, et nous ne devons pas faire de compromis sur ses recommandations les plus complètes.

Au-delà de la législation-cadre, le développement du programme lui-même nécessite la création d’un régime fédéral détaillé et d’un appareil de soutien qui sera administré et financé uniquement par le gouvernement national. Une autre solution acceptable serait une série de programmes provinciaux et territoriaux adaptés aux normes nationales et dont les coûts seraient partagés entre les gouvernements nationaux et infranationaux.

Le rapport de l’Institut Broadbent plaide en faveur d’un programme national, mais l’approche la plus probable consistera en des arrangements provinciaux et territoriaux similaires à l’arrangement actuel du système de soins de santé public. Le défi de l’approche provinciale et territoriale est que le gouvernement fédéral devra négocier plusieurs ententes, dont certaines exigeront que les provinces intransigeantes dirigées par les conservateurs se joignent à nous.

La théorie du fédéralisme qui guide une grande partie de la politique canadienne suggère que la pression publique incitera les provinces et les territoires à se joindre, surtout si leurs résidents voient d’autres unités infranationales souscrire à un programme souhaitable. Cette théorie pourrait tenir, comme elle l’a fait, plus ou moins, l’année dernière avec des offres de garde d’enfants à 10 $ par jour dans une grande partie du pays (peut-être même en Ontario).

L’assurance-médicaments est populaire au Canada. En 2019, un sondage mené par la Fondation des maladies du cœur et la Fédération canadienne des syndicats d’infirmières et d’infirmiers a révélé que le soutien canadien à l’idée était d’un peu moins de 90 %. Mais cela ne garantit pas que le programme verra le jour. Avoir un champion provincial du programme dans une grande province comme l’Ontario (peu probable), le Québec (très improbable) ou la Colombie-Britannique (concevable) serait d’une grande aide, mais personne ne souhaitera peut-être se lever de si tôt.

Alors que la résistance provinciale pourrait devenir un sérieux obstacle à l’assurance-médicaments, les industries pharmaceutiques et de l’assurance se battront comme des fous pour résister à un programme public complet d’ordonnances. Ce recul de l’industrie rendra les choses encore plus difficiles. L’industrie risque de perdre son influence et, plus précisément, ses profits. L’organisation, la pression publique et l’action directe à l’échelle nationale et infranationale seront toujours nécessaires pour faire de l’assurance-médicaments une réalité. Le NPD devra également s’engager à demander des comptes aux libéraux – et leur histoire à ce sujet est inégale.

L’avenir de l’assurance-médicaments au Canada reste à déterminer. Depuis des décennies, le pays en parle, mais cette opportunité, bien qu’encore lointaine, semble réelle. C’est un moment critique, un moment historique, contingent et éphémère. Il faudra un combat.

Maintenant, le travail le plus difficile de tous commence : capitaliser sur le moment et se battre non seulement pour l’assurance-médicaments, mais pour le programme que les Canadiens méritent. Cela signifie un programme universel, à payeur unique et complet qui couvre des centaines de médicaments sans le fardeau et l’obstacle du co-paiement. Cela signifie un système d’achat en gros et une surveillance étroite des tendances de prescription pour contrôler les prix et limiter les abus du système par Big Pharma. Cela signifie des réformes des brevets pour s’assurer que les géants pharmaceutiques ne continuent pas à jouer avec le système des brevets pour garder les médicaments génériques hors des rayons. L’entente libérale-néo-démocrate offre une chance de pousser le Canada vers un véritable système de santé publique complet. Par le passé, l’assurance-médicaments n’a été déposée que pour être supprimée. Cette fois, il ne faut pas laisser passer la chance.



La source: jacobinmag.com

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